1984 au Théâtre Denise-Pelletier | Nouveau regard donné à Big Brother par Édith Patenaude

À travers un regard jeune et clairvoyant, Édith Patenaude offre une nouvelle lecture de 1984, roman culte d’anticipation de George Orwell. Adaptée par les auteurs britanniques Robert Icke et Duncan Macmillan, et traduite par Guillaume Corbeil, cette œuvre phare du genre de la dystopie apparaît aussi actuelle aujourd’hui qu’au moment de sa publication en 1949.

Un leader incontesté et incontestable

A travers le concept de Big Brother, Orwell dépeint une société constamment surveillée par cette autorité suprême infligeant une soumission totale et réduisant les libertés individuelles telles que la libre pensée ou l’écriture. Cette société s’inscrit ainsi dans une réalité construite de toutes pièces – la construction mentale et culturelle du Parti de l’Océania. Le spectateur pénètre tranquillement dans cet univers oppressant à travers la lecture d’un court extrait du roman et une brève discussion par les acteurs eux-mêmes – à la frontière entre lecteurs néophytes à la recherche du sens donné par Orwell, et acteurs avertis étant parvenus à s’approprier l’œuvre et lui donner tout son sens.

 

Le théâtre comme sentiment d’existence

Si la salle du Théâtre Denise-Pelletier était comble ce soir, c’est bien parce que le public est convaincu du rôle libérateur et formateur du divertissement. Toutefois, outre le photomaton Big Brother à l’entrée du théâtre, peut-on réellement considérer cette mise en scène comme un divertissement ? Au vu de la sobriété du décor, de la justesse des dialogues, et de l’approfondissement des problématiques, cette pièce semble plutôt s’adresser à un public cherchant à s’impliquer dans une nouvelle révolution, celle d’une époque marquée par une surveillance exacerbée et une perte d’intimité, comme en témoigne fort justement la récente affaire Snowden…

 

Un mélange de réalités où même le public se méprend

La démarche audacieuse et percutante d’Édith Patenaude apparaît dans la superposition de plans, à la fois sonores, visuels et identitaires. On oscille ainsi entre un bourdon grave récurrent et des basses de techno obsédantes, auquel se superpose à plusieurs reprises le chant pur et léger de la mère (Véronique Côté), sans oublier les moments d’absence de fond sonore pour faire ressortir les dialogues intimistes entre Winston Smith (Maxim Gaudette) et O’Brien (Alexis Martin).

Maxim Gaudette et Alexis-Martin. Photo  par Stéphane Bourgeois.

Maxim Gaudette et Alexis-Martin. Photo par Stéphane Bourgeois.

Parallèlement, à l’instar de l’observation continuelle de l’omniscient Big Brother, une caméra filme de façon constante les différents plans, en les projetant sur l’écran en fond de scène, offrant ainsi une nouvelle réalité grâce aux subtiles points de vue adoptés et à la proximité des acteurs. Par ailleurs, la crise identitaire du personnage principal, Winston Smith, à la frontière entre opposition et dévotion, est ici décuplée avec la dichotomie au début et à la fin du spectacle entre le rôle d’acteur et celui de personnage ; il en est de même pour le spectateur – apparaissant à la fois comme extérieur à la pièce, opposant au système, membre du Parti ou second Big Brother, mais surtout comme un homme du XXIème siècle.

Édith Patenaude offre un théâtre bouleversant par la façon dont elle traite le sujet et par l’esthétique de sa mise en scène, avec des plans fixes très harmonieux grâce à l’éclairage et l’équilibre des différents éléments. Maxim Gaudette (Winston Smith) et Claudiane Ruelland (Julia) témoignent d’un jeu fin et délicat, et rendent compte des traits de personnalités dessinés par Orwell. Cette mise en scène permet une prise de conscience des mécanismes d’une société dysfonctionnelle et des dérives qui peuvent survenir en refusant d’agir. Ce spectacle est à découvrir au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 décembre.

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