2022 Revue et corrigée

2018 Revue et corrigée au Rideau Vert | L’année de Suzanne Champagne qui porte bien son nom

Pour sa 14e édition d’affilée, le Bye Bye du Théâtre du Rideau Vert achève l’année dans le rire et la dérision avec son « 2018 Revue et corrigée ». Si les personnages politiques et les artistes de la télévision dominent dans cette avalanche de courts sketchs bien sentis, le spectacle y va cette année avec de petits éclairs de génie inexploités jusque-là. L’équipe se renouvelle en partie, mais la doyenne que s’avère être la comédienne Suzanne Champagne demeure irremplaçable à ce vif plaisir théâtral annuel.

La soirée commence par une imitation de Justin Trudeau en plein buzz de cannabis, ce qui aurait été impensable il y a peu. Avec ses « Chers Canadiens et Canadiennes » sur un ton échappé à une sorte de Woodstock négligé, son numéro en amène un autre où les cinq comédiens s’amusent à modifier les textes d’un florilège de chansons québécoises. Par exemple : « On va s’aimer encore » devient « On va fumer encore ». Et la salle trépigne aussitôt de contentement.

Arrive une Suzanne Champagne habillée comme La Bolduc avec son ruine-babines qui ironise sur les CHSLD en parlant de « cabanes à vieux », et nous assénant une réflexion équivoque selon laquelle « Ça mourait jeune dans le bon vieux temps ». À chacune de ses apparitions, Suzanne Champagne provoque les rires avant même d’ouvrir la bouche. Ainsi, elle deviendra une Melania Trump insipide, une maman Dion exaspérée, une Kim Jong-un délirante, une Manon Massé à moustache qui n’arrivera pas à placer un seul mot dans une entrevue télévisée avec Christian Bégin, et bien sûr son grand classique, en Pauline Marois qui d’ailleurs, bonne joueuse, était dans la salle.

* Photo par François Laplante Delagrave

Suzanne Champagne, que Ti-Mé Paré appelait « la grosse face » dans un épisode de La Petite Vie, est impayable en femme quelconque qui se trouve assise à côté de l’avocate Michelle Blanc avec sa voix grave d’homme et sa longue coiffure bouclée, voyant ensuite arriver Hubert Lenoir avec sa robe blanche à larges frisous, maquillé et poudré comme une fille de mauvaise vie. La pauvre dame « normale » est toute perdue dans cet échange de transgenres nouveau genre, les LGBTQ+ dont le sigle ne cesse de s’allonger, ce qui donne un réel numéro d’anthologie.

* Photo par François Laplante Delagrave

Il y en aura plusieurs autres, comme la mairesse des « Maréalais et des Maréalaises » implorant sa ligne rose en réponse aux cônes orange et aux pancartes indiquant des détours vers des rues barrées. Comme le rapprochement entre les coyotes du parc Ahuntsic, le Petit Prince, et une imitation réussie de l’auteur-compositeur-interprète Tire le coyote. Comme encore l’idylle passagère entre Donald Trump (« I’m so great! ») et l’épeurant dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un.

Comme il fallait s’y attendre, la saga entourant l’annulation l’été dernier de deux pièces de Robert Lepage, SLAV et Kanata, a voix au chapitre. Mais c’est en restant peut-être trop sage et respectueux, plutôt qu’en mordant sans vouloir lâcher le morceau. « Slava de soi », ironise Ariane Mnouchkine en évoquant un été indien hâtif, mais sans plus.

Il y aura d’autres numéros plus faibles, comme François Legault et les chefs de partis aux dernières élections, comme Guy Mongrain en retraite de sa Poule, comme l’éculé Denis Lévesque, comme Mario Pelchat s’essayant à la polémique, comme encore et toujours la surreprésentation de Céline Dion dont on aurait pu se passer. Mais le spectateur est ensuite sollicité aussi vite par un flash électrique comme l’intervention de Sophie Prégent en présidente de l’UDA propriétaire d’un club de danseurs nus, comme le Dr Barrette en jaquette d’hôpital goûtant à sa médecine, et même le crucifix à l’Assemblée nationale dont on ne livrera pas le punch.

Du côté des comédiens, aux autres habitués comme Suzanne Champagne que sont Martin Héroux (neuvième participation), Benoit Paquette (qui fait une ribambelle de voix, dont celle de Richard Martineau, à ICI Laflaque), et l’excellent Marc St-Martin qui n’a pas manqué une seule Revue et corrigée depuis 2006, s’ajoute cette année Joëlle Lanctôt qui en plus d’être comédienne est une chanteuse à voix pleine d’énergie qui a bien su défendre sa Mary Poppins dans la récente comédie musicale.

Les textes sont le lot d’un petit noyau de seulement quatre auteurs : Cassandre Charbonneau-Jobin, Luc Michaud, Justine Philie et Dominic Quarré, la plupart diplômés de l’École nationale de l’humour. Ils ont été placés sous la supervision avisée du script-éditeur Daniel Leblanc qui en est à sa sixième participation, mais pour une première fois à la script-édition.

Tout au long de cette hécatombe où les têtes roulent à grande vitesse, il faut souligner le travail démentiel de Suzanne Harel aux costumes, et celui de Jean Bégin aux perruques et maquillages.

Pour finir, en concordance avec la présente saison de femmes metteures en scène au Rideau Vert, c’est Natalie Lecompte qui signe le show. Elle-même comédienne et auteure, son nom figure à plusieurs reprises au générique de la revue au cours des dernières années. Sa mise en scène est férocement efficace, ne laissant rien à la traîne. On rit tout au long de cette cascade de numéros malicieux, souvent courts, impertinents et punchés, mais jamais méchants ni mesquins.

La directrice artistique du Théâtre du Rideau Vert, Denise Filiatrault, entame son mot dans le programme en disant : « Incroyable de penser que 2018 tire déjà à sa fin… »; et elle conclue, forte de ses 87 ans, avec : « Je vous souhaite une soirée joyeusement inspirante sous le signe du rire et de la réflexion. » Merci de nous faire rire intelligemment à votre théâtre, Madame Filiatrault.

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