Abîmés de Beckett à Fred-Barry | L’art de dire les mots muets

Chez Samuel Beckett, chaque mot autant que chaque silence et chaque regard sont lourds de sens, même quand ils paraissent ne pas en avoir. Cet Irlandais qui vivait en France et écrivait directement en français figure parmi le cercle restreint des plus importants dramaturges du XXe siècle, toutes origines confondues. Mais, il n’y a qu’un seul Beckett, celui qui encore aujourd’hui fait réfléchir au sens à donner à quelque chose ou à rien, ce qui pour lui revient au même.

Catherine Bourgeois, avec beaucoup de finesse et d’adresse, a conçu et mis en scène un non-spectacle intitulé Abîmés, objet théâtral échappant à toute définition, présenté jusqu’au 22 octobre à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Qui sont ces abîmés, par quoi le sont-ils, pourquoi le sont-ils, pourquoi ne le seraient-ils pas?

Photos: Frédérique Ménard-Aubin

Photos: Frédérique Ménard-Aubin

À l’évidence, nous ne le saurons pas, sinon que les quatre courtes pièces de Beckett réunies sous ce vocable sont Souffle, Pas, Quoi où et Impromptu d’Ohio. Quatre « dramaticules » par celui qui n’a eu de cesse tout au long de son œuvre d’attendre Godot de géniale façon.

Lui qui en fit la démonstration dans Le Dépeupleur, entre autres, en parlant ainsi de l’espace: « Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine ».

Ils sont quatre comédiens sur la scène immaculée de Fred-Barry, dont Gabrielle Marion-Rivard (celle du film) qui brûle les planches avec beaucoup d’aplomb. Depuis sa fondation en 2003, la compagnie de Catherine Bourgeois – Joe Jack et John -, donne une place à des acteurs ayant une déficience intellectuelle en les entraînant dans des aventures aussi atypiques qu’heureuses.

Marc Béland, aussi de cette distribution, est celui dont la prestance en impose le plus, mais tout naturellement, sans faire ombrage à quiconque. Il faut le voir, avec son énorme bagage d’acteur accompli, devenir le Lecteur saccadé dans Impromptu d’Ohio, en synergie parfaite avec l’Entendeur que défend habilement Michael Nimbley. Ou encore dans son personnage de Bam pour Quoi où, dont les trois autres sont Bim, Bem et Bom.

Photos: Frédérique Ménard-Aubin

Photos: Frédérique Ménard-Aubin

Abîmés doit sa réussite en bonne partie aussi grâce à la surprenante « table lumineuse » de Cédric Descamps qui crée en direct, placé juste en retrait de la scène, des effets d’éclairages et des jeux d’ombres aux formes étranges qui se meuvent selon les déplacements des acteurs.

Il utilise même un pinceau et de l’encre noire avec quoi il peint sur sa table lumineuse des formes captées par une petite caméra au-dessus et relayées par le régisseur et concepteur vidéo Jean-François Boisvenue et le directeur technique Francis Vaillancourt-Martin avec son équipe de quatre techniciens à la fine pointe.

Le résultat est stupéfiant d’inventivité, livrant ainsi une enveloppe visuelle des plus originales à ce non-spectacle beckettien dont le seul défaut est d’être trop court.

Vos commentaires