J'accuse

Centre du Théâtre d’Aujourd’hui – Saison 2016-2017 | La dramaturgie québécoise entre risques et solidarité

Le bal des lancements de saison 2016-2017 s’est poursuivi avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui qui a cette particularité dans notre paysage théâtral d’être le seul à proposer uniquement des auteurs québécois, ou francophones du Canada. Entre prises de risques avec des créations et élan de solidarité, le CTDA offrira neuf spectacles, soit quatre dans la Salle principale et cinq dans la Salle Jean-Claude-Germain.

Le directeur artistique des lieux depuis trois ans, Sylvain Bélanger, s’exprime ainsi dans le programme :

En 16/17, je vous propose de voir au-delà de l’ingratitude, du refus de parler, du déficit d’attention généralisé auxquels vous assisterez (…). Au-delà des crises de panique face à l’avenir que vous entendrez (…), je vous propose de regarder notre jeunesse en face.

Dans sa présentation sur scène ensuite, il a insisté sur «le désir de dialogue entre les générations», en gardant à l’esprit comme leitmotiv cette question fondamentale : «De quelle solidarité sommes-nous faits?»

Sylvie Drapeau. Photo par Ulysse del Drago.

Sylvie Drapeau. Photo par Ulysse del Drago.

La saison commencera avec une création, La délivrance, qui est le troisième élément du triptyque de Jennifer Tremblay, dont on a pu voir précédemment La liste et Le caroussel. Sylvie Drapeau, à nouveau, sera seule en scène. Son personnage est celui d’une femme qui se voit confier par sa mère mourante le défi irrépressible de ramener ce  fils dont elle est séparée depuis 20 ans. Patrice Dubois signera la mise en scène de cette pièce dont l’extrait présenté a paru un peu littéraire.

Dimanche napalm qui suivra en novembre, texte et mise en scène de Sébastien David, est une histoire de famille qui se déchire, incluant même le fantôme de la grand-mère en fauteuil roulant. Un texte dur, si l’on se fie à l’extrait, et qui sera livré en une série de tableaux. La désillusion de la jeunesse et le fossé entre les  générations en sont deux thématiques. Henri Chassé, Louison Danis et Sylvie Léonard font partie de la distribution pour ce texte «électrochoc», tel que prévenu par Sylvain Bélanger.

 

Retour de J’accuse

En février 2017, le CTDA ramène la pièce à succès J’accuse, un autre texte coup de poing d’Annick Lefebvre mis en scène par Sylvain Bélanger. Elles sont cinq et elles ragent à propos de la vie qui n’est pas souvent ce qu’elles espèrent et qu’elles dénoncent à tout venant. Ce sont Ève Landry et Debbie Lynch-White (que tout le monde connaît maintenant grâce à la série télé Unité 9), Léane Labrèche-Dor, Alice Pascual et Catherine Trudeau. Cinq filles avec de la drive, qu’accueillera ensuite le Théâtre de la Bordée à Québec.

Léane Labrèche-Dor. Photo par Ulysse del Drago.

Léane Labrèche-Dor. Photo par Ulysse del Drago.

«Moi, dit Léane Labrèche-Dor en entrevue, je joue la femme qui aime, je suis une amoureuse en peine d’amour. Elle s’égare, comme quand on ne s’aime pas assez soi-même, et qu’on se donne trop à l’autre, que ce soit un homme ou une femme, ce n’est pas dit dans le texte. J’accuse la fin d’une amitié, j’accuse l’amitié ou l’amour, c’est la même chose selon moi. Je crois que ce n’est pas dénaturer le texte que de dire ça.»

Suivra une création des Productions Hôtel-Motel, en collaboration avec le Théâtre Cercle Molière de Winnipeg, Dehors de Gilles Poulin-Denis, un auteur de la Saskatchewan. Philippe Ducros, qui compte de plus en plus, signera la production. L’histoire est celle d’Arnaud, un correspondant de guerre qui retrouve, après dix ans d’absence, la ferme familiale alors que le père vient de mourir. Son frère Armand l’attend, carabine à l’épaule.

Patrick Hivon. Photo par Ulysse del Drago.

Patrick Hivon. Photo par Ulysse del Drago.

Patrick Hivon, qui fait partie de la distribution de sept comédiens, dira en entrevue : «J’aime ce qui parle de la terre, de l’appartenance et des racines. Mais mon personnage a des flash-backs de ce qu’il vient de vivre de l’autre côté de l’Atlantique, dans une guerre qui n’est pas précisée, avec des chiens féroces qui le poursuivent. Et la relation avec son frère n’est pas facile. La pièce est une création, bien sûr, ça fait peur. Le théâtre en général me fait peur. Moi, je fais du skateboard, et je sais que si tu essaies quelque chose en te tenant à l’arrière de la planche, tu te pètes la gueule! C’est la même chose au théâtre.»

Le dramaturge Étienne Lepage, dont on connaît la signature d’un certain radicalisme, suivra avec une autre création, Toccate et fugue, dans la mise en scène de Florent Siaud qui s’affirme lui aussi parmi les plus prometteurs de sa génération. L’histoire paraît volontairement décousue, tournant autour d’un party d’anniversaire qui dérape en une succession d’agressions et de règlements de compte. Sophie Cadieux, Maxime Denommée et Francis Ducharme sont de la distribution.

 

5 propositions pour la Salle Jean-Claude-Germain

La petite Salle Jean-Claude-Germain, dont le nom du fondateur du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et avec le plus long directorat, aurait dû être donné plutôt à la Salle principale, battra au rythme de cinq propositions. En effet, la seconde salle devrait être nommée Salle Michelle-Rossignol, car c’est elle qui, en 1991, fut à l’origine du déménagement entre l’ancien garage insalubre de l’avenue Papineau qu’occupait le CTDA et le site rénové actuel qui a remplacé un cinéma porno sur la rue Saint-Denis. La Salle principale devrait donc être rebaptisée Salle Jean-Claude-Germain, et la deuxième, Salle Michelle-Rossignol.

Parmi ces cinq propositions, mentionnons Le brasier de David Paquet, auteur en résidence, qui verra se détruire pour des histoires familiales jamais assumées un trio d’acteurs qui promet : Paul Ahmarani, Kathleen Fortin et Dominique Quesnel.

Avec son collectif de 11 auteurs, mentionnons aussi Nuits frauduleuses qui viendra donner la parole aux poètes québécois de la Génération Y, les confrontant entre réel et virtuel. Léane Labrèche-Dor, pour qui ce sera un doublé au CTDA la saison prochaine, en parlait ainsi : «Il va y avoir des trucs dansés, des trucs déclamés, plus imagés, mais comme c’est une création, on ne sait pas encore vraiment à quoi ça va ressembler. J’aime le travail en groupe, me mettre entre les mains des autres, réfléchir avec eux et poser des questions.

«Je pense que j’aurais davantage peur de jouer un  grand personnage du répertoire comme Andromaque ou Antigone, que de m’embarquer dans l’inconnu avec cette pièce. La création laisse une grande liberté. Le théâtre est un métier qui fait en sorte que je vais toujours apprendre», conclue-t-elle avec un petit sourire en coin, un air de famille qui lui vient de son père, Marc Labrèche et de sa grand-mère, la journaliste Michelle Labrèche-Larouche.

Rôle clé pour le théâtre d’ici

Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dont le cinquantième anniversaire approche, joue un rôle prépondérant pour la jeune dramaturgie québécoise. Au fil des ans, pas moins de 300 productions ont ravivé nos forces dramaturgiques en présentant un théâtre de qualité qui rejoint quelque 30 000 spectateurs par saison.

On regrette néanmoins de ne pas y trouver plus souvent une place d’honneur pour les auteurs consacrés, qu’on pense à Dubé, Loranger, Germain, Ducharme, Gauvreau, Garneau, Chaurette, Dubois, Bouchard, Beaulieu et d’autres. La direction conjointe de Sylvain Bélanger et Étienne Langlois oserait-elle programmer du Robert Lepage pour fêter le cinquantième? Et pourquoi pas un Ducharme, qui prend de l’âge mais pas son théâtre, un Gauvreau, génial créateur mort trop tôt, un Dubé, si important, et qui vient de nous quitter en nous laissant sa modernité? Si le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui n’est pas leur temple, qui le sera?

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