Chants et danses... with strings !

Chants et danses… with Strings ! | Quand Lepage, Lussier et Bozzini croisent les genres

Les « grands-pères de la musique actuelle » au Québec — c’est eux qui le disent! —, le clarinettiste Robert Marcel Lepage et le guitariste René Lussier, s’unissent au Quatuor Bozzini afin de proposer une version scénique du projet « Chants et danses… with strings ! » le 7 octobre prochain au Gesù. Sors-tu.ca a discuté avec M. Lepage et la violoncelliste Isabelle Bozzini afin d’en savoir plus sur cette rencontre des générations et des genres, puisque les musiques actuelle, expérimentale et de chambre s’y croisent, non sans humour, plaisir et ironie.

En 1984, Robert Marcel Lepage et René Lussier détonnaient du lot en faisant paraître leur album conjoint Chants et danses du monde inanimé, un ovni pour l’époque.  Un deuxième volet allait suivre en 1996. Plus tôt cette année, le duo Lepage-Lussier rappliquait avec Chants et danses… with strings!  Comme le titre l’indique, l’univers sonore est ici enrichi de cordes, celles du Quatuor Bozzini, qui n’existait même pas formellement lorsque le deuxième volet est sorti.

« En effet !  On était à l’école classique, on avait déjà envie d’explorer et on connaissait très bien ce que ces deux musiciens avaient créé au fil des ans », explique Isabelle Bozzini, qui a formé avec sa soeur Stéphanie le Quatuor Bozzini vers la fin des années 1990.

« C’est ça qui est intéressant pour nous, raconte à son tour Robert Marcel Lepage. Dans les années 1970 et début 1980, il n’y avait rien de tout ça qui existait vraiment. Maintenant, René et moi sommes invités au conservatoire pour enseigner des méthodes d’improvisation. C’est le privilège de l’âge : de voir les cycles, les modes, les flux. Après nous, il y a eu toute une génération qui ne voulait pas de ça. Là, on voit des 30-35 ans qui veulent en faire. Dans ce métier, tu veux juste tougher, et tôt ou tard, ça va revenir ! »

C’est Eric Normand — de l’organisme Tour de bras qui oeuvre dans la création, la production et la diffusion des musiques improvisées — qui a proposé à Lepage et Lussier de créer un troisième album ensemble. « Il voulait un disque du duo sur son étiquette. Je travaillais déjà avec les Bozzini pour de la musique de films, j’aimais leur approche, leur sensibilité à ces contraintes-là. Quand on a eu la subvention pour ajouter des cordes, on savait qui appeler. »

Le mariage s’est fait naturellement, et la formule a donné lieu à une rencontre improbable mais hautement réussie des musique expérimentale et de chambre. « L’album est construit avec des caractères parallèles et des interactions entre différentes strates. D’ailleurs, sur scène, tout cela sera renouvelé. On conserve la formule du duo, très freak ; ce drôle de mélange entre mon esprit jazz, celui de René, qui est plus rock, et l’apport des Bozzini. Le parallélisme entre les trois types, c’est ce qui nous intrigue.»

Pointu sans se prendre la tête

Ceux qui s’imaginent la musique actuelle comme étant hermétique, cérébrale, limite intello auraient tout avantage à plonger dans les Chants et danses ironiques et colorés de Lussier, Lepage et Bozzini. Leur univers est teinté d’un humour qui se répercute dans le contenu comme dans le contenant. Cet aspect n’est d’ailleurs pas du tout nouveau chez Lussier et Lepage. « Chez eux, il y a toujours un petit côté ironique, un aspect canular, explique Isabelle Bozzini au sujet de ses deux collègues pionniers. Sur les trois Chants et danses, il y a quelque chose qui fausse la réalité. Le volume 1 est faussement indigène par exemple, alors que le volume 2 explore le hit parade et ses 6 archétypes. Sur le volume 3, on reprend Chants et danses, en rajoutant des cordes. On est dans le mensonge, la vente avec des arguments faux, en misant sur l’apparence. »

Cet humour se transpose partout dans le projet, à la fois dans l’agencement de certains sons, comme le gratouillement sur Comment garder le feu sacré sans brûler son capital, mais aussi, justement dans les titres des pièces (« Comment se poser des questions qui commencent par comment », « Comment faire de l’argent avec une clarinette » ou encore « Les douze chakras du placement boursier »).

La pochette en soi est un beau petit pastiche des années 1940, plus précisément un clin d’oeil à Charlie Parker With Strings.

 

Sur celle-ci, on peut y lire des faux messages de vente à pression : «100% surfait», ou encore « L’écoute de ces pièces pourrait changer votre vie !  Vous faire maigrir et gagner plus d’argent ! »  On comprend mieux ce qu’Isabelle Bozzini entendait par « la vente avec des arguments faux » !

Cet esprit (de bottine) se transpose totalement sur scène, selon Robert Marcel Lepage. « Il y a certainement quelque chose de très ludique, un aspect décalé. Vous allez voir des musiciens qui rient, qui sourient, vous allez sentir une implication totale dans ce qui se passe. On se permet des jambettes. Vous allez voir les pièges qu’on se tend, l’esprit rigolo, dérisoire. On est comme des enfants dans un carré de sable ; quelqu’un commence un truc, c’est comme s’il jouait avec des cowboys, et l’autre amène une voiture, ce qui ne marche pas du tout avec les cowboys. Il y a une espèce d’ironie qui fait qu’on fait avaler ça à tout le monde. Mais le public du Vivier (n.d.l.r.: Groupe Le Vivier, le carrefour des musiques nouvelles installé au Gesù) est capable d’en prendre ! »

Juste le plaisir, très premier niveau, de jouer dans la boue. On a beaucoup de plaisir à le faire, et ça, en soi, je crois que c’est très communicatif.

« Moi en tout cas, ça me plaît, ajoute Isabelle Bozzini. Je les trouve très courageux, et c’est quelque chose qui nous inspire, ce côté du musicien qui est capable de ne pas trop se prendre au sérieux, tout en conservant un engagement au-delà de la moyenne.»

Chants et danses… with strings !, avec Robert Marcel Lepage, René Lussier et le Quatuor Bozzini sera présenté au Gesù le 7 octobre 2017, avec Not The Music (le duo d’Éric Normand à la guitare et de Philippe Lauzier à la clarinette) en première partie. Détails et billets par ici.


* Cet article a été produit en collaboration avec Groupe Le Vivier.

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