Chroniques d'un coeur vintage (Les mots des autres)

Chroniques d’un cœur vintage (Les mots des autres) | Un seul en scène intime, entre humour et douce mélancolie

Connue au théâtre depuis de nombreuses années, ainsi qu’à la télévision – notamment dans la série Unité 9 – Émilie Bibeau se livre pour la première fois à l’exercice du seul en scène. Le spectacle qui se joue au théâtre de la Licorne en septembre est directement inspiré de ses chroniques régulières dans l’émission « Plus on est de fous, plus on lit », sur Radio Canada. Poussée par ses auditeurs et ses proches, l’actrice a décidé faire vivre sur scène ces moments de radio, appuyée par Sophie Cadieux à la mise en scène.

 

La littérature comme remède

Émilie Bibeau se présente comme un personnage à mi-chemin entre Jerry Seinfeld et Jane Austen : le ton est donné. Dès les premiers moments, l’actrice nous plonge dans une atmosphère intime qui n’use que très rarement d’effets spectaculaires. Elle fait naviguer les spectateurs entre deux temps et deux espaces : celui des textes écrits (ses chroniques), face au micro à droite de la scène et à l’autre extrémité, celui du monologue spontané, à sa table de travail rouge où sont posés une boîte de suppléments, des livres, quelques cahiers et une tasse de thé. Seul un intermède musical sépare ces allers-retours.

Dans ses textes domine un thème majeur, la cruauté des relations sentimentales dont le schéma semble se répéter à l’infini : renaissance de l’espoir, ranimation du corps et de l’esprit avant une fin abrupte et douloureuse. Face à ces désillusions, les « mots des autres », et particulièrement ceux des auteurs qu’elle chérit, font office de remède. Consignées dans un cahier, les citations miracles de Dany Laferrière, de Colette, de Simone de Beauvoir ou de Gustave Flaubert sont le traitement le plus efficace, surtout quand l’auteur(e) « dit en mieux ce qu’elle aurait voulu dire elle même ». Le plus surprenant vient de la passion d’Émilie Bibeau pour les auteurs pessimistes, comme Schopenhauer ou Cioran. Leurs phrases pleines de noirceur lui donnent des fous rires qui l’apaisent, la distancient des événements et, surtout, enflamment le public du théâtre.

Parfois, la littérature surgit aussi au court d’une mauvaise journée : en attendant que le plombier termine des réparations au coût faramineux, Émilie se promène et rentre dans une librairie où elle achète Quand tout est déjà arrivé, de Julian Barnes, dont le titre fait écho à sa lassitude. Elle lit les premières pages sur un banc et est immédiatement séduite. Commence une nouvelle histoire d’amour imaginaire avec l’auteur britannique, dont elle imagine la venue et l’installation au Québec. Rentrant chez elle « 600 $ plus tard », le coût des réparations ne semble plus vraiment l’atteindre. La littérature a magiquement opéré et produit ce qu’elle appelle le « mouvement de déviation des choses ».

Naissance d’une voix

Au début du spectacle, le personnage campé par Émilie Bibeau peut déstabiliser : l’alliance étrange entre sentimentalisme et ironie mordante, la langue nerveuse et le débit très rapide des premiers textes contrastent avec les propos des auteurs qu’elle cite lentement, avec révérence. De plus, parler d’amour est un art compliqué si le thème est abordé de façon légère ou par le biais de portes déjà ouvertes. Pourtant, au fil du seul en scène, de nouveaux sujets émergent, plus latents et imprévus : la complexité infinie des êtres humains, l’aspect ambivalent du quotidien à la fois réconfortant et étouffant, la nostalgie et surtout, la perte de personnes proches à un âge où l’on n’avait pas les clefs pour les comprendre. Plus le spectacle avance, plus Émilie Bibeau semble trouver son rythme, sa cadence, plus l’ironie laisse place à la mélancolie, plus elle semble rejoindre ces auteurs qui lui permettent de continuer à vivre. En sortant de la salle, son charme et sa douce mélancolie nous enveloppent.

Il faut ajouter que la qualité du spectacle tient également à la subtile mise en scène de Sophie Cadieux mais aussi à de très bons choix musicaux : « Je te déteste », (Les Parisiennes, 1965) et « A rose for Emily » (The Zombies, 1968). Ainsi, de façon comique et poétique, Émilie Bibeau sort ses textes de grands sacs d’épicerie ou encore termine son seul en scène en équeutant des haricots qui évoquent les gestes de sa grand-mère italienne dont il ne lui reste plus que le souvenir.

Toutes les photos de cet article par Annie Éthier

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