Deux pièces pour Étienne Pilon

Deux pièces pour Etienne Pilon | Peut-on être partout à la fois ?

Arrivés au Théâtre de la Licorne, première surprise : pour voir le seul en scène d’Etienne Pilon, il faudra choisir entre la petite et la grande salle. Mission accomplie pour Etienne Pilon et l’équipe qui l’accompagne : avant même que le spectacle ne commence, le spectateur ressent le « Fomo » ou fear of missing out, propre à notre époque. Nous sommes tout de suite dans le ton, puisque le spectacle questionne l’injonction de performance contemporaine qui implique que l’on doit tout faire et être partout. Alors, peut-on être partout à la fois ?

En attendant Pilon…

Gardons le mystère. Dans l’une des salles, un décor atypique : des petits tableaux accrochés au mur, au fond de la scène, des napkins et des cartes postales qui pendent à des fils, mais surtout, l’acteur dramatique tant attendu ne vient pas. Sa collègue s’agite en tout sens, s’excusant platement et se voit obligée de commencer le spectacle sans lui, livrant plusieurs improvisations tantôt comiques, tantôt touchantes.

Elle se présente : Catherine Bourdages, « agente de bord », ancienne amie d’Etienne. On écoute alors des morceaux de guitare awkward, des confessions sur sa dépression post-partum et du ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response) en direct, réalisé avec une bouteille d’eau en plastique. Elle dévoile sa vie au spectateur, l’histoire de son spectacle avec Etienne, réalisé en hommage à leur ami commun, Chris, qui s’est suicidé plusieurs années auparavant. Face à ce spectacle étrange, le spectateur et l’actrice sur scène finissent par se résigner : Etienne Pilon ne viendra pas.

Photo par Laurence Dauphinais

Pourtant, une fois entré dans ce show bizarroïde, l’acteur tant attendu assaillit la salle en entrant par une porte, déguisé en Bob Ross avec un caméraman qui le suit en Facebook live, puis par une autre porte et finalement, défonçant le mur du fond. À force de vouloir être partout à la fois, Etienne avait oublié de venir. Récitant du Hamlet en tous sens et faisant des tirades sur la nécessité de performer, il apparaît comme un acteur en burn-out, au bout de ses possibilités.

Le public est alors invité à se lever pour rejoindre la grande salle, regrettant presque cette série d’improvisations loufoques. Si Etienne Pilon est confronté à un trop plein, Catherine, elle, nous a fait une démonstration sur le vide, en explorant comment meubler le temps quand les événements attendus ne sont pas au rendez-vous.

Photo par Laurence Dauphinais

 

Profiter du moment 

Les deux moitiés du public se retrouvent enfin, sans savoir ce qui a été montré dans l’autre salle. Elles assistent aux retrouvailles de Chris, Catherine et Etienne. Enfin, nous voyageons dans le temps, au sens propre et au figuré : les trois amis sont réunis dans un espace-temps joyeux, quasi-insouciant, un moment-souvenir, « oasis de décélération » auquel chacun de nous devrait aspirer.

Le spectacle est un pari réussi, surtout grâce à son originalité et ses surprises. Le spectateur se trouve sans cesse confronté à ses limites, se demandant s’il doit rester sur son siège, s’il s’agit d’une farce ou de la pièce elle même. Il navigue entre des univers différents, selon la salle qu’il a choisie, mais aussi, entre la première et la deuxième partie. Mention spéciale pour Myriam Fournier qui joue avec talent Catherine Bourdages adulte, entre folie et tristesse.

Photo par Laurence Dauphinais

La réflexion sur l’hyper-performance est bien conduite puisque le spectacle déploie plusieurs façons de vivre le temps : l’improvisation est créatrice et libère tandis que l’immersion permet de s’extraire et de toucher à une forme d’éternité. Seule l’hyper-performance gomme le temps jusqu’à l’oubli et semble destructrice.

Au bout du compte, la réflexion sur la performance semble être soutenue par une, plus profonde, sur l’importance de la mémoire et du souvenir, qui permettent de donner un sens au temps à venir.

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