Électro-Acrylique + Orbits à la SAT | Symbiose psychédélique et dérivation spatiale

Une collision de disciplines artistiques a eu lieu ce jeudi 4 mai, à la SAT (Société des Arts Technologiques), à Montréal. Il s’agissait du lancement d’un programme double immersif. Premier segment : «Électro-Acrylique», où trois domaines se fusionnent : peinture en direct, musique électro et projections. Deuxième volet : «Orbits», performance de «synth electronica» accompagnée d’un quatuor à cordes, présente une opposition entre l’innovation technologique et des instruments plus traditionnels. Compte-rendu d’une soirée atypique et positivement sédative.

Électro-Acrylique : «Comment ça sonne, le jaune? Le rouge?»

Dans le dôme de la SAT, on se love dans les coussins placés au sol, et on est absorbé dans une stimulation sensorielle relaxante. L’idée du projet Électro-Acrylique est née d’un jam, et créée au hasard de connaissances en commun des membres. Elle a atteint sa pleine maturité lorsque les trois individus, Alec Stephani, Fréderic Laurier et  Fred Trétout, se sont retrouvés en résidence à la SAT pendant deux semaines. «On improvise et on se demande : Comment ça sonne, le jaune? Le rouge?» précise Fréderic Laurier, alias DJ Pfreud. La démarche est  technique, mais aussi brute en même temps : «On a pratiqué ensemble, pour trouver les grandes lignes, mais c’est vraiment improvisé lors des spectacles. La chanson sera différente d’un soir à l’autre».

Alec Stephani, artiste multidisciplinaire dont le chouchou est la peinture, est réellement le maître d’orchestre de la performance. Les coups de pinceau sur son œuvre abstraite deviennent des instruments, grâce aux micros installés derrière la toile. Le peintre se transforme en musicien, créant du rythme sur son tableau, avec craie, spatules, différents pinceaux, les manches de ces derniers…

Ensuite, Fréderic Laurier – DJ actif dans la scène de musique électronique à Montréal – suit les premiers mouvements d’Alec Stefani, et ils improvisent ensemble. Le musicien crée petit à petit des loops à partir des bruits obtenus par les instruments de peinture. Ainsi naît cette longue mais fascinante et unique chanson : chaque couleur est associée à un son particulier. La craie blanche devient le rythme principal ; la peinture blanche devient la basse ; la rouge, des synthétiseurs ; la grise donne des sons de cloches aigus ; et la turquoise, des percussions supplémentaires… «On fait du techno, mais l’instrument principal, c’est l’acrylique», résume DJ Pfreud.

Pendant ce temps, Fred Trétout, motion designer, créé d’étourdissantes projections en direct. Il utilise une manette de console XBox pour contrôler les effets visuels. Chaque coup de pinceau est filmé puis projeté dans la Satosphère, et en ressort transformé : l’œuvre est déconstruite, puis recréée. À certains moments, d’infinies possibilités de motifs fleurissent dans le dôme ; à d’autres, les lignes abstraites deviennent réduites à leur géométrie la plus simple.

Le trio se fusionne, les artistes se comprenant dans des langages qu’on aurait cru différents de prime abord. Ils dansent, sous l’effet hypnotique des sons répétitifs. Chacun est inspiré par l’autre dans une symbiose psychédélique. Électro-Acrylique, une substance illicite, inhabituelle, à laquelle on est branché durant une bonne trentaine de minutes, obnubilés.

 

Orbits : Dérivation spatiale

Deuxième morceau de ce programme double : Orbits par Montréal Life Support, une performance de David Gardener (auparavant du groupe Dems). Accompagné de quatre musiciennes – deux violoncellistes et deux violonistes – il présente son nouvel album, ayant pour thèmes les rythmes, les périodes et les cycles.

Silence total. Le DJ est au centre du dôme ; il bat la mesure. Autour de lui, comme les points cardinaux, un quatuor à cordes l’entoure, et entame une introduction, qui est suivie de l’arrivée des beats. Cette combinaison se poursuit tout au long du spectacle, où les artistes ont interprété une dizaine de chansons. Les musiciennes ne participent pas dans toutes les pistes – on aurait souhaité qu’elles aient davantage de place…

David Gardener (alias Dems) est un musicien londonien et un designer interactif. Le projet Orbits, créé en résidence durant cinq mois, explore les notions reliées à l’espace-temps : influences et interactions des rythmes. À propos de son processus créatif, il précise : « J’ai d’abord créé toutes les chansons de l’album, et les visuels ont été inspirés par celles-ci». David Gardener est un passionné d’astronomie : «Mon inspiration est en étroite relation avec le domaine scientifique – ce thème est une exploration infinie pour moi». Son engouement pour le vide intersidéral est contagieux : on flotte avec lui dans l’espace. D’ailleurs, l’impression d’ondoyer dans l’infini est rehaussée par le son en surround.

Côté visuel, la déconstruction et la création sont présentes, mais le concept de cycles/périodes aurait pu être exploité davantage. Les éléments récurrents sont des statues de pierre, qui semblent plutôt signifier l’inverse: l’immobilité et la solidité. Très réalistes, elle semblent nous fixer de leur yeux vides. Des personnages plus humains apparaissent parfois, dérivant dans le vide tel des astronautes. D’autres sont prisonniers d’une course contre la montre autour de la lune. Mais on doit attendre à la dernière chanson avant de voir des planètes. «L’espace m’a inspiré les éléments visuels, pour les projections. Tout appartient à un cycle, à quelque part», souligne le musicien.

Par ailleurs, David Gardener a joué une mélodie émouvante sur le clean sa guitare électrique durant une des chansons, ce qui rajouta une dimension encore plus profonde à la performance. Des artistes vocaux invités (enregistrés) complètent certains morceaux, et les statues des projections s’animent pour chanter, bien que moyennement synchronisées avec la musique. Ses créations musicales furent anesthésiantes, guérisseuses de ce mal de vivre qui constitue l’obsession de le vitesse. Un baume sur nos esprits maniaques de précipitation, nous incitant à une accalmie cérébrale nécessaire. Bref, dans l’ensemble, les idées auraient pu être poussées un peu plus loin. Ça dérive ; on comprend plus ou moins la trajectoire d’Orbits, mais on est tout de même entraîné dans ce périple interstellaire curatif, et on en ressort serein et léger. À voir pour se poser et méditer.

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