Elle respire encore (Jérémie Niel)

Elle respire encore de Jérémie Niel à l’Agora de la danse | Sombre et exigeant

Les ténèbres ne sont pas dépourvues d’intérêt pour le jeune chorégraphe Jérémie Niel. Si vous êtes hop la vie, aimant la lumière et sa fluidité, l’énergie positive et la résilience, et l’esthétisme raffiné de la beauté, le spectacle Elle respire encore n’est pas pour vous. Le soir de la première à l’Agora, à trois reprises des spectateurs exaspérés ont quitté. Pourtant, aussi sombre et exigeant soit-il, ce spectacle est d’une parfaite cohésion et d’une grande réussite.

Ça commence longuement dans le noir comme chez le diable par des soupirs de souffrance, des mots inaudibles et des bruits non identifiables derrière un rideau de tulle noir. Puis, apparaît l’étalage grotesque de 13 danseurs de tous âges se mouvant avec lenteur. Ils sont là, éparpillés sur la scène, certains gisant au sol dans des positions inconfortables, d’autres assis en attendant la mort qui ne saurait tarder.

Crédit photo: Caroline Rousseau

Crédit photo: Caroline Rousseau

Les 13 danseurs, perdus sans aucun motif éclairant, bougent plus qu’ils ne dansent. Comme une punition de retenue pour ceux qui ont fréquenté des chorégraphes reconnus comme Frédérick Gravel, Étienne Lepage, Paul-André Fortier, Virginie Brunelle ou James Kudelka. Car ici, il faut parler de mouvements contraignants et de mobilité erratique davantage que de danse.

Soudain, une alarme stridente se fait entendre pendant de longues secondes, immobilisant complètement les interprètes. Mais ils auront tôt fait d’échapper au danger, même si l’une pleure abondamment, pendant qu’un autre passe le balai, que deux s’étreignent, que d’autres se violentent, tous entraînés ensuite dans un mouvement de rotation qui paraît ne plus vouloir s’arrêter.

La distribution comprend cinq hommes et huit femmes, dont la majorité justifie peut-être la féminisation du titre de l’œuvre. Parmi elles, Élizabeth Langley, qui doit bien approcher les 80 ans, assise à l’avant-scène, se fera traiter de « Madame vieille câlice! », pendant que sur un lit aux draps noirs en fond de scène deux interprètes copulent, comme pour transmettre la vie en remplacement de la vieillesse dégradante. Le titre du spectacle, Elle respire encore, pourrait se compléter par « mais pas pour longtemps ».

Crédit photo: Caroline Rousseau

Crédit photo: Caroline Rousseau

Jérémie Niel a été formé au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, ce qui explique la théâtralité, même brève, se retrouvant dans ces tableaux sans cohérence apparente, comme s’il avait voulu cacher ses intentions artistiques derrière un épais brouillard, poussant à l’excès son attirance obscure et sourde envers la fin du monde.

Pendant les 75 minutes d’Elle respire encore, aussi intenables que fascinantes, le même signal d’alarme se fera entendre à trois reprises, figeant net les danseurs, impuissants. Mais un semblant de parcelle de vie ressortira chaque fois des décombres, jusqu’à cette scène forte où tous ensemble, les danseurs crient à pierre fendre et rendre l’âme.

La conception sonore d’Alexandre St-Onge, efficacement envahissante dès les tout débuts, est indispensable à l’atmosphère oppressante dans laquelle nous sommes tous tenus captifs, sans comprendre les raisons de la finitude qui attend la race humaine.

Jérémie Niel, avec la compagnie Pétrus qu’il a fondée en 2005, compose ici, sans apitoiements inutiles, avec la matière noire et l’énergie sombre qui constituent 96% de l’univers. Et bien que sa recherche artistique soit exigeante pour le spectateur, elle atteint radicalement son but.

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