Entrevue avec Gabriel Malenfant et Vivianne Roy | Une collaboration inédite derrière la trame du film 1999

Au détour d’une trame sonore de film, Vivianne Roy (Les Hay Babies) et Gabriel Malenfant (Radio Radio) quittent leurs projets vivaces pour explorer, en musique, ce temps écoulé qui renferme de rudes souvenirs à Moncton. Participant à la musique du film 1999 réalisé par Samara Grace Chadwick, les deux artistes acadiens nous dévoilent, à quelques jours de la première du film à Montréal, le fruit de cette collaboration délicieuse.

Dès le 19 octobre prochain, Parabola Films, l’Office national du film du Canada (ONF) et Beauvoir Films présenteront 1999, le premier film de Samara Grace Chadwick à la Cinémathèque québécoise.

Ayant quitté jeune son Nouveau-Brunswick natal, la réalisatrice s’est éloignée durant seize années de Moncton pour s’aventurer hors des frontières provinciales. Une façon aussi d’oublier, comme d’autres élèves de l’école secondaire Mathieu-Martin, les évènements tragiques qui se sont déroulés à la fin des années 1990. Revenue sur ses terres d’origine, la cinéaste a finalement ouvert une brèche derrière le médium avec lequel elle excelle. Offrant sa caméra comme un moyen de penser les plaies, son film évoque malheureusement cette vague de suicides qui affecta l’établissement scolaire mais laisse aussi aux intervenants le soin de s’exprimer, de laisser éclater cette douleur enfouie depuis longtemps.

Une trame sonore sur mesure 

Dans ce cinéma impressionniste où s’entremêle parfois des images d’archives, la musique joue un rôle primordial. Pour retranscrire la charge émotionnelle qui traverse l’heure et demi du film, Samara Grace Chadwick s’entoure ainsi de Gabriel Malenfant pour coordonner la trame sonore. Au cours d’un souper, le courant artistique passe bien entre la réalisatrice et le musicien acadien qui voit d’un bon œil cette première expérience pour un long métrage. « Il faut une connexion organique. Je pense que les gens gravitent autour des individus avec lesquels ils ont une complicité, ce qui fait que tu ne cherches pas à forcer des collaborations », souligne ce membre du groupe Radio Radio.

Outre une collaboration artistique, cette expérience se présente aussi pour le natif de Moncton comme une occasion de contribuer à un projet touchant. « Arrivé au secondaire, on était chums à l’école Mathieu-Martin », se souvient-il quelques vingt années après les faits marquants qui ont atteint l’établissement. C’est tout naturellement que Gabriel Malenfant offrit son expertise à une réalisatrice ouverte à ses idées. « Je pense que j’étais assez intimement lié avec la thématique du film étant donné que j’avais vécu l’expérience et que j’avais vu les images assez psychédéliques et aérées de Samara. La distance temporelle par rapport à ce qui est arrivé donne du recul et de l’espace », évoque l’artiste au sujet de la direction artistique.

Cette dernière consiste notamment à arranger des oeuvres de groupes phares acadiens comme Zéro Degré Celsius, en témoigne leur chanson Moins 25 interprétée ici par les Jeunes chanteurs d’Acadie. « J’essaye de communiquer l’espace dans la musique et cela se fait avec beaucoup de reverb et du minimalisme, des trucs qui font respirer. Si c’était dans l’acte, j’aurai fait quelque chose de violent, saturé, pointu mais là, avec Vivianne [Roy], on a essayé de communiquer quelque chose qui respirait. »

 

Collaboration inédite entre artistes acadiens

Si Gabriel Malenfant évoque Vivianne Roy, c’est qu’il n’a pas été seul pour agrémenter la trame sonore du film. Plus connue sous le nom d’artiste Laura Sauvage en solo, la chanteuse acadienne s’est démarquée au sein du trio des Hay Babies ces dernières années. Dotée d’une voix profonde, Vivianne Roy s’avérait un choix évident pour Gabriel Malenfant bien que les deux artistes n’aient collaboré ensemble auparavant. « Samara avait du respect dans mes consignes, dans ma direction, dans ma vision. C’était réciproque avec Vivianne. Elle est tellement bonne, c’est un cadeau avec qui travailler », souligne le producteur. Il faut dire qu’à travers cette trame sonore, Vivianne Roy prouve son adaptabilité envers un projet bien différent de celui proposé avec Laura Sauvage. Loin du rock énergique découvert dans ses albums Extraordinormal (2016) et Beautiful (2017), la jeune chanteuse dévoile une sensibilité touchante lorsqu’elle interprète avec Joseph Edgard Behind The Garage du groupe acadien Eric’s Trip ou encore lorsqu’elle arrange Jeremy de Pearl Jam en version chiac, ce dialecte franglais parlé principalement par les jeunes générations du Nouveau-Brunswick.

Pour Vivianne Roy, le but de cette démarche interprétative est loin d’être expérimentale. Elle vise surtout à traiter les pièces le plus justement possible par rapport aux images tournées par Samara Grace Chadwick. « Elle savait déjà comment elle voulait faire la trame sonore, sans prétention. Ce n’est pas réinventer quelque chose, c’est juste prendre une chanson qui touche une génération et d’y mettre une touche plus relative au sujet. Il faut y laisser l’égo de sa propre musique et respecter ce que l’on voit à l’écran », dit celle pour qui la composition musicale d’une trame de long métrage fût aussi une première.

À travailler sur le film, j’ai réalisé que bien du monde sont des victimes. Je ne viens pas de Moncton mais il y a beaucoup de monde que je connais qui ont été touchés. Voir comment ils en parlent et s’ouvrent comme ça, c’est pesant mais vraiment sérieux. Tu veux donner tout ce que tu peux pour réaliser ce projet…

Un essai visuel et musical sensible à découvrir le 19 octobre prochain à la Cinémathèque québécoise.

Trois des projections seront accompagnées de discussions avec la cinéaste et des invités spéciaux.

19 octobre → Discussion avec la réalisatrice, Vivianne Roy (musicienne), Selin Murat (productrice, Parabola Films) et Kat Baulu (productrice, ONF)

23 octobre → Discussion sur le deuil et la prévention du suicide, avec la réalisatrice et Jean-Claude Daoust (intervenant responsable du service aux endeuillés à Suicide Action Montréal

25 octobre → Discussion sur le cinéma et la médiation, avec la réalisatrice et Catherine Grabherr (titulaire d’une maîtrise en arts plastiques et candidate au doctorat de psychologie à l’Université du Québec à Montréal)

Tous les détails par ici : http://www.cinematheque.qc.ca/fr/programmation/projections/film/1999-nouveaute


* Cet article a été produit en collaboration avec l’ONF.

Vos commentaires