Philippe Brach

Entrevue avec Philippe Brach | Le Silence des troupeaux: Expliquer l’inexplicable

Après trois albums, on aura compris que Philippe Brach est un énergumène verbomoteur ultra productif, ultra créatif. Des idées, il en a plein la tête, et il ne manque jamais de nous embarquer dans ses folies. Sa plus récente est ce troisième album, « Le Silence des troupeaux », qui a débuté en duperie et culmine en une disquette aux multiples couches et univers. Sors-tu.ca l’a rencontré avant sa soirée de lancement au Club Soda pour tenter de disséquer cette oeuvre extrêmement complexe.

Sors-tu: D’abord, félicitations. Tu as réussi à nous faire croire à un virage commercial grâce à ta fausse chanson Troupeaux. Pourquoi nous avoir monté un bateau?

Philippe Brach : C’est le 3e album que je corde en presque quatre ans. Je fais beaucoup de capsules ou autres trucs dans le genre, et c’est très souvent mon visage qu’on voit là-dessus. J’ai voulu m’effacer.

Les trois albums sont une sorte de triptyque qui mélange toujours la présence animalière et ma présence. On voulait se l’imposer pour le troisième. On s’est dit qu’avec la prothèse, on ferait quelque chose de mi-homme, mi-bête, pas repoussant, juste déstabilisant. Le but de la promo, c’était vraiment de pousser cette image-là vraiment léchée, ultra lisse, pour clasher le plus possible avec la vraie pochette et le contexte de l’album.

Dans le faux vidéoclip promotionnel, on peut voir des artistes de la veine commerciale. Comment as-tu approché 2Frères et Paul Daraîche sans les insulter?

Avec 2Frères, on a skypé deux heures de temps durant mon voyage au Pakistan, alors qu’eux étaient en studio. Ils ont compris que je ne riais pas de ce style-là, que je n’étais pas en train de me foutre de leurs gueules. Ça fait quand même 10 ans que je les connais, donc ils étaient ben relaxes. Et Paul [Daraîche], ça a pris 4 secondes. Je lui dit : « Je fais une fausse toune qui ne sera pas sur mon album, ça te tente-tu de venir faire semblant? », et il est venu en plein milieu de ses trois jours de vacances d’été. Pour ce qui est de Louis-Jean [Cormier] et Klô [Pelgag], ç’a été simple parce qu’on avait déjà travaillé ensemble. Je pense que j’aurais pelleté pas mal plus de marde si j’avais fait ça tout seul avec 2Frères.

22894348_1857030320977733_2406772660123286396_nTu pousses la blague encore plus loin en incluant sur l’album un morceau nommé Troupeaux, mais qui n’est pas du tout dans le même univers. Souhaites-tu que les gens se procurent ton album par erreur?

Si quelqu’un achète mon album et est déçu que la toune ne soit pas dessus, ça ne me dérange vraiment pas de le rembourser. Je peux très bien comprendre, je pense que c’est un peu de ma faute. (rires)

Ton public t’a quand même fait confiance, même si plusieurs se sont fait avoir.

Je me doutais que les gens ne se sentiraient pas ultra trahis, parce que le texte de Troupeaux ne veut vraiment rien dire, donc les gens ne peuvent pas se l’approprier. Une toune de 2Frères, c’est fucking clair. Il check une fille au magasin de vinyles, tombe en amour, bing bang, c’est clair. Tandis que moi, c’était tout sauf clair.

Tu revenais d’un voyage de deux mois au Pakistan, c’aurait donc été crédible que cette expérience-là soit le résultat d’un changement de style complet.

Le timing était parfait! Je suis parti dans une république islamique pendant 2 mois. Je reviens, je ne dis pas trop d’affaires et je pousse ça. C’est exactement le genre de truc que je peux faire en plus. Et j’aurais pu le faire très sérieusement. Le texte n’aurait probablement pas été ça, par contre. Mais, j’aurais pu faire quelque chose de très pop. Je suis très ouvert à travailler avec plein de monde, tant qu’ils soient smattes et que ça m’intéresse comme projet.

Et comment ton voyage au Pakistan se transpose-t-il sur l’album?

Je ne pense pas que c’est quantifiable tout ça. Il n’y a rien de clair ou de pointu qui fait que je ressente mon voyage au Pakistan dans l’album. C’est tout le temps dans le subconscient que ça se passe. Je ressens autant le Pakistan que le Japon l’an passé. J’ai pas l’impression que c’est établi, que telle affaire a été puisée du Pakistan. À toutes les expériences que j’ai eues, les gens que j’ai rencontrés, indubitablement, ç’a influencé ma création, c’est sûr.

Photo par Jean-François Leblanc / Coup de coeur francophone.

Photo par Jean-François Leblanc / Coup de coeur francophone.

Pourtant ce sont des lettres ouvertes d’un missionnaire en Russie qui ponctuent l’album dans un livret qui l’accompagne, Lettres des Frères hvrlants.

Ça, c’était une couche qui n’était vraiment pas nécessaire. On a fait ça avec mon ancien coloc Julien Lavoie. Il ne se spécialise pas en vieux français, donc c’était un exercice pour lui aussi. Mon album questionne le fait qu’on est peut-être rendu à la fin d’une certaine étape, d’un certain concept tel qu’on le connaît.

Donc, c’est l’histoire d’un missionnaire qui s’en va en Sibérie pour convertir des gens, mais qui tombe malade et se fait rejeter de là-bas. Il se retrouve à dériver tout seul sachant qu’il va mourir, et il est convaincu que c’est la fin du monde. Mais, c’est au temps de la colonisation de la Nouvelle-France qui est en fait le début de quelque chose. C’est la seule clé de l’album qui ouvre sur une lumière, qui démontre qu’on est peut-être au début de quelque chose d’autre, pas nécessairement à la fin du monde, dans notre contexte actuel. Ce n’était pas un ajout nécessaire, mais je trouvais que ça venait combler un certain vide que l’album avait.

On a ponctué certains passages musicaux en parallèle avec l’histoire. Des fois, il y a des paroles, d’autres fois un bout instrumental, puis on retombe dans l’histoire du missionnaire. Comme dans un film. On finit la narration, il y a une action puis une didascalie.

Pourquoi alors avoir terminé ton album sur Joyeux anniversaire, plutôt que sur La Guerre (expliquée aux adultes)? Il me semble que c’est un moment instrumental qui aurait pu rappeler le début de l’album et fermer la trame narrative.

Je voulais quand même que l’album tombe à la fin, qu’on ne se laisse pas sur un gros clusterfuck comme à la fin de La Guerre. À la base, les enfants devaient puncher avec moi le « Joyeux anniversaire » et partir. On l’a finalement enlevé parce que je faussais trop et ça clashait avec la chorale. Mais, je trouvais ça beau de finir sur une espèce de fable que je trouvais belle du gardien de phare. C’était une fin aussi cinématographique que le reste de l’album. Il a une ouverture à plusieurs endroits dans l’album, mais je voulais vraiment d’une fin qui close pour ensuite passer à autre chose.

Ton album a plusieurs couches, plusieurs univers, qui rendent la compréhension plus difficile. Trouves-tu ton album cohérent?

Oui et non. Je pense que c’est toujours bon qu’il y ait une couche de nébuleux, où on laisse l’interprétation aux gens. Plus que jamais, il y en a là-dedans. Mais, il y a aussi des choses sur l’album que je comprends et je ne veux volontairement pas expliquer. Je trouve qu’on est à une époque où tout est possible, mais on se contente de très peu.

Tu exploites beaucoup plus d’instruments sur ce troisième album. Tes albums semblent toujours se complexifier. Est-ce que c’est parce que tu as plus de moyens? Le milieu musical te fait beaucoup plus confiance maintenant.

Un milieu qui me fait beaucoup plus confiance, qui va considérer tout ce que je fais et écouter tout ce que je fais, c’est priceless. Le reste, c’est les moyens financiers. Tous mes moyens, je les ai de par le fait que je sais que les gens vont écouter. C’est crissement précieux et je l’apprécie. C’est un privilège. Je produis mes albums, je ne manque pas d’argent pour le faire, ce n’est plus un concern. Je peux donc créer ce que j’entends, c’est de la création sans compromis à 100%.

Tu mets de l’avant la voix sur l’album. On y entend des chorales, même une intro a cappella sur Rebound. Pourquoi?

C’est plus facile de faire ressentir la vérité avec une voix qu’avec un instrument parce que c’est vivant, c’est attaché à toi, c’est relié à ton cerveau. Ce n’est pareil qu’une guitare, même si au bout de doigts que ça se passe, moi c’est toujours avec une voix que ça s’est passé. Je trouve ça quand même fort des enregistrements où y’a que des voix ou majoritairement des voix. J’ai l’impression que les troupeaux se parlent.

C’est ton album le plus complexe, à date…

Oui, le premier était très premier niveau, en surface, façon de parler. Tout était clair, on savait ce qu’on écoutait, c’était pas choquant. Le deuxième allait dans des zones de texte plus nébuleuses. Pour celui-là, je catch des nouvelles twists après l’avoir écouter plusieurs fois, que toi, tu vas peut-être catcher à la centième écoute. C’est ça que j’aime.

…est-ce que c’est pour ça que tu nous as fait le coup de Troupeaux? Nous faire croire que tu t’en allais dans du simple, alors que tu nous présentais en fait ton album le plus complexe?

Tout à fait! Je voulais voir à quel point mon public était capable de faire l’exercice de ne pas être vendu tout court, de se poser la question : « J’aime-tu vraiment ça au plus profond de moi-même?»

Philippe Brach au lancement le 6 novembre au Club Soda.

Philippe Brach au lancement le 6 novembre au Club Soda.

Pour ton lancement, tu nous proposes un spectacle où toi et tes musiciens joueront de dos. On sait que tu aimes beaucoup présenter des spectacles concept. Quelle était l’intention derrière celui-là?

C’est dans la continuité de l’album. C’est de pousser la face de la pochette big time, de l’enfoncer dans la gorge du monde. C’est pour ça qu’on cache les visages. Quand l’album sort, c’est « mi-homme, mi-bête » qui est là et tranquillement pas vite, je m’efface.

Ça faisait longtemps que je voulais faire un concept de dos, mais je me disais que pour un vrai show, ce serait long en tabarnak, donc pour 4-5 tounes, c’est parfait. Tout le monde sur scène va porter des masques derrière la tête pour que ça ne soit pas trop plate à regarder. À la rentrée montréalaise [le 16 mars au MTELUS], le thème va être « l’Illusion », donc je vais poursuivre avec cette idée-là. Mais ça ne sera pas le concept pour la tournée en salles.


On a eu droit à une soirée de lancement qui nous a titillé pour la suite des choses, avec un concept réussi et des nouveaux morceaux convaincants. C’est toujours très intéressant de découvrir se qui se trame dans l’univers de Philippe Brach en concert. On pourra l’explorer davantage lors de sa rentrée montréalaise au MTELUS le 16 mars prochain.

En attendant, nos collègues du Canal Auditif vous proposent un compte-rendu de cette soirée de lancement, par ici!

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