Sarah Slean

Entrevue avec Sarah Slean

La chanteuse Sarah Slean était de passage à Montréal la semaine dernière pour venir présenter, en spectacle à la Sala Rossa, les pièces de son plus récent album, Land & Sea, un disque double séparé en deux volets (Land et Sea).  Sorstu.ca en a profité pour s’entretenir avec l’auteur-compositrice-interprète à propos de ce disque double qui marque une étape importante de sa carrière.

Le spectacle de jeudi dernier à Montréal mettait fin à une tournée pancanadienne de 24 concerts, dont plusieurs concerts à guichets fermés.

« La tournée fut épatante! Ç’a réaffirmé mon amour pour la scène, et que la musique live ne mourra jamais.  On a tellement eu du plaisir, les musiciens et moi. Et grâce à la façon dont les chansons de Land, qui composent la majorité du spectacle, ont été conçues en studio, grâce à la réalisation de Joel (Plaskett), les arrangements étaient déjà existants.  On a enregistré ces chansons en jouant de manière live, très spontanée.  Le « feel » du groupe était déjà présent. »

 

Inviter le mystère

Crédit: Ivan Otis

« Joel Plaskett est complètement dément! J’ai l’habitude de faire des disques avec mon cerveau.  Et le cerveau tend à ralentir le processus, à toujours tout repenser.  Quand la musique vient du cœur, c’est tellement fluide et vivant que tu ne peux l’intellectualiser.  Joel est comme ça.  Dans le studio il est du genre à dire : « Vous allez tous jouer ensemble.  On commence sans aucun plan ».  Et moi, qui finance le tout, qui planifie le tout, qui organise le tout, je transpire à grosses gouttes, je panique, et Joel me dit  « Tout va bien aller, ces gars sont fantastiques, tes chansons sont fantastiques, ta voix est fantastique.  Relaxe! ».

« Et Jon (Jonathan Goldsmith, co-réalisateur de Sea) est semblable.  Nous n’avions que deux jours pour réaliser cette entreprise colossale qu’est Sea.  Je voulais faire les choses séparément, comme chanter plus tard, ou jouer du piano plus tard, mais Jon m’a dit  « Non, tu devrais jouer en même temps que les musiciens, c’est comme ça que la magie survient ».  C’est un peu pourquoi lui et Joel sont intervenus sur cet album. Une partie de moi était incapable de faire cela. »

«  En quelque sorte, les forces de l’univers ont su reconnaître que, si tu as cette idée pour cette belle musique qui invite au mystère – je parle des mystères de la vie sur l’album en entier – tu ne peux pas en parler sans faire entrer un peu de ce mystère dans le processus d’enregistrement, n’est-ce pas? »

 

Passer au prochain chapitre

La chanteuse dont les yeux intelligents et grands ouverts scintillent tout au long de l’entretien, de toute évidence passionnée pour son art, raconte comment est né le projet Land & Sea.

« Après le dernier album, The Baroness, j’ai senti qu’un gros chapitre de ma vie était terminé. Ça m’a un peu désorientée.  Mais l’année qui suivit fut incroyable : je me suis mariée, j’ai terminé mes études, j’ai été en Afrique, j’ai fait une tournée avec des musiciens classiques – toutes sortes de choses démentes me sont arrivées.  Toutes ces infos que j’assimilais se sont mises éventuellement à sortir de moi sous forme de musique. »

Crédit: Ivan Otis

« Je vois dans Land une sorte de joie nouvelle, retrouvée.  À l’époque de The Baroness et avant cela, il y avait beaucoup de tristesse et de noirceur dans mes chansons, mais Land, c’est comme un vent de fraîcheur qui parle simplement de la joie d’être en vie.  Je prenais conscience soudainement que la musique n’a pas besoin de venir d’un coin sombre de notre personnalité, qu’elle n’a pas à naître de la souffrance. »

« Pour Sea, c’est le même sentiment général, mais dans sa phase calme et méditative.  C’est un regard posé sur cette extraordinaire créature que nous sommes, qui regarde autour et se pose des questions sur cette chose qu’on appelle la vie sur Terre.  Et ça ne cesse jamais de m’intriguer.  Je suis souvent dans cet état d’étonnement face à la vie. »

 

Mouvement et philosophie

En lisant les paroles du disque Sea, on se rend compte qu’il y a beaucoup de références à la danse, dans un contexte plus large que le simple mouvement des corps.  Que cela signifie-t-il pour Sarah Slean?

« L’idée, spécialement dans la pièce Cosmic Ballet, est la respiration –  entrer et sortir de quelque chose.  Je crois que les vies humaines se résument à ça : on entre, on recule, et on revient et on recule.  On vit la vie, on respire la vie.  C’est comme un grand mouvement respiratoire.  Dans ma vingtaine ça me troublait beaucoup, car quand tu y penses de manière rationnelle, la vie humaine est pathétique et futile. Pourquoi?  Pourquoi faire quoi que ce soit?  On va mourir de toute manière!  Quel est le but? »

« En lisant beaucoup de philosophie, et en cherchant à travers de nombreux textes religieux anciens, j’en suis venue à croire que la vie est ce grand pouvoir que nous ne comprenons pas.  C’est comme si notre conscience était arrivée dans ce corps, cette machine déjà toute faite et tellement extraordinaire.  Et nous ne la comprenons pas.  Ce qui se passe dans ton corps présentement de manière miraculeuse – ton coeur bat, tes hormones se balancent, les os, tout – ça n’a rien à voir avec nous!  Donc, la conscience entre dans le corps, celui-ci s’affadit, et la conscience recule et sort sous une autre forme.  Quand je regarde les fleurs, les arbres, je ne pense qu’à une chose : la conscience, partout, qui prend racine, bouillonne, respire.  Tu sais, je pourrais écrire de la musique sur ce sujet jusqu’à la fin de mes jours! »

 

Les aléas de l’indépendance

Dans les contextes financier et musical actuels, et surtout du fait que depuis 2010 elle a divorcé de sa compagnie de disque et est redevenue indépendante comme à ses débuts, on pourrait croire que de sortir un disque double sur le marché est quelque peu risqué.

« Je fais ce métier depuis longtemps, et je sens que j’en suis arrivée au point où je n’ai plus le contrôle là-dessus. Ça DOIT être fait. Ça DOIT exister. J’aurais pu aller à l’école pour devenir avocate, tu sais?  J’étais vraiment douée à l’école.  J’aurais pu faire un grand nombre de choses beaucoup plus faciles. Mais je ne peux m’en empêcher. Et parfois j’aimerais pouvoir contrôler ça, mais je ne peux pas.  Pour moi, c’est devenu une sorte de quête sacrée, une chose spirituelle.  Un peu comme toucher à la vie en profondeur. »

« Certains genres de musique t’éloignent de la vie, car la réalité est trop débile, ou parce que tu es stressée ou fatiguée.  Justin Bieber, Lady Gaga, whatever, ces artistes te sortent de la vie, en quelque sorte. Mais il y a aussi la musique qui t’amène plus profondément au cœur de la vie.  Qui t’y fait entrer et te donne l’impression de la toucher, de mettre le doigt dessus, et ça c’est sacré.  Leonard Cohen fait cela.  Les frissons sur ta peau quand tu entends cette musique?  Et bien c’est de ça que je parle.  Et c’est ce genre de musique que je veux faire. »

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