Dead Obies

Entrevue Dead Obies | La musique au temps de la marchandisation

Dead Obies, formation de rap montréalaise, lance son deuxième album Gesamtkunstwerk ce vendredi 4 mars. Ayant la réputation d’en mettre plein la vue sur scène, le groupe propose un album aux tournures live, enregistré en partie en studio et en partie devant public lors de trois spectacles complets au Centre Phi en octobre dernier.

La barre est haute pour ceux qui, il y a trois ans, démocratisaient la place du rap au Québec avec l’album acclamé Montréal $ud. Sors-tu.ca rencontre quatre des six membres : 20some, Jo RCA, O.G. Bear et Yes McCan.

Depuis le mississippin’

Suite au succès exponentiel circa 2013, les gars restent prêts de leur mission initiale, qui consiste à « faire la musique la plus nice, qu’on a le goût d’entendre mais qui n’existe pas. »

Suite à la création de leur propre studio, ils ont la possibilité d’être plus indépendants et plus productifs : « On s’est payé un métier, l’opportunité de continuer là-dedans. C’est la seule chose qui a changé. Avant on le faisait à la mitaine en esti, maintenant on le fait à la mitaine mais dans un spot », soutient 20some. « On a fait pas mal plus de bruit que d’argent. »

L’histoire de leur vie, d’après O.G Bear : « On est devenus meilleurs dans ce qu’on fait. On est plus efficaces mais on a la même vision, la même philosophie que depuis way back. » Leur confiance acquise les rend audacieux, ils se permettent une projection artistique plus assumée de leurs idées : « On en beurre plus épais, on prend la place qui nous revient plus qu’avant, et on s’améliore: c’est comme si on level up à chaque take d’album qu’on fait. C’est DIY depuis day one, on s’auto-instruit, c’est toujours un learning process. » Le groupe reste authentique, et cette confiance émergente donne naissance à un album conceptuel et audacieux.

Après le franglais : L’allemand

Après « Wikipédiation » du terme Gesamtkunstwerk, on comprend qu’il s’agit d’une idée romantique allemande, une « oeuvre d’art totale ». Pour Dead Obies, ça englobe toutes les facettes de la marchandisation d’un album de musique, que ce soit les photos de presses, les vidéoclips ou le marketing. Yes McCan a une vision très approfondie du concept : « Le titre est venu à la fin. L’idée est venue au départ d’essayer d’intégrer des éléments live dans nos albums pour aller chercher la dynamique qu’on a à six, la qualité de spectacle qu’on donnait. » Deux ans après Montréal $ud, l’expérience de rejouer les chansons en live à répétition donne un résultat supérieur à l’enregistrement initial. « On voulait cette réalité-là de jouer de la musique devant les gens, ce feeling-là, cette réponse-là. »

Suivis d’une équipe de documentaristes pour cet album, c’est un membre de l’équipe de tournage qui aurait mentionné Gesamtkunstwerk : « Nous aussi on a « Wikipédié » le mot, et ça a résumé ce qu’on voulait faire. En tombant sur ce mot-là on s’est inscrit dans un courant, qui est aussi une farce d’être prétentieux. »

20some explique: « C’est plus dans le « comment », le concept de cet album-là, que dans le texte ou de ce que ça parle. C’est plus comment il a été fait, selon les médiums qu’on utilise qui s’inscrivent dans le time and space. » Il donne en exemple les réseaux sociaux, qui alimentent le marketing de l’album suite au partage des photos prises de la foule aux spectacles. « C’est d’utiliser notre environnement pour l’époque dans laquelle on est, pour en retirer le plus de jus du projet qu’on fait ».

L’album est un reflet de tout ce qui a été utilisé comme méthode de travail, c’est ce qui en fait son ensemble. Tout est fait en prenant en fonction tous les éléments qui entourent l’album, que ce soit les photos du public à même la création d’un studio pour y enregistrer l’album. Le tout forme un discours hétérogène, connecté par la texture du live : « il y a quelque chose qui l’unifie quand même, soit dans le timbre sonore que tu entends, en plus de l’apport live. »

La frontière entre le vrai et le faux

C’est l’ouvrage philosophie La société du spectacle de Guy Debord, qui postule que l’homme est plus intéressé par l’image de la chose que la chose, qui les inspire : « Ça nous parlait beaucoup dans le contexte contemporain de l’industrie de la musique, donc on a fait un spectacle qui était basé sur l’idée de la simulation du vrai ou du faux, et on a fait un album live qu’on a retouché en studio pour pas que tu saches exactement qu’est-ce qui est vrai, et qu’est-ce qui l’est pas », analyse Yes McCan.

L’album redéfinit en quelque sorte la valeur de la musique, puisqu’ils jouent avec la notion de ce qu’on considère comme étant de la musique, la perception qu’on a d’une chanson établie, avant l’avènement de l’industrie, de l’enregistrement et de la marchandisation. Yes McCan poursuit : « Avant, t’allais dans un bar et y’avait pas de DJ qui jouait des chansons, c’était des musiciens qui jouaient des covers, donc l’expérience de la musique que t’avais ça se passait en live, c’était un rassemblement. Avec l’avènement de la production de masse, le repère s’est inversé: ce qui est devenu la vraie chanson, c’est le produit que t’achètes, et quand tu vas voir un spectacle, c’est une simulation de cette chanson-là, une interprétation. Donc ce qui est réel finalement, c’est le produit qu’on te vend et ce qui est faux c’est ce qu’on joue devant toi. On voulait jouer avec cette notion-là de ce qu’est la vraie interprétation de la musique. Est-ce que c’est un concert, ou une interprétation enregistrée qui est figée dans le temps? En mixant les deux et blurrant la frontière, ça donne un résultat super intéressant. »

Aucun doute qu’une formule live était gagnante, puisque c’est sur scène que le groupe est acclamé par la critique : « Tout ce qu’on avait eu comme expérience de show en tant que groupe sur la route, on l’a mis à profit », explique 20some. Au Québec, c’est Dead Obies qui détruit les stéréotypes des spectacles de rap : « On a commencé à faire du rap en se disant que c’était plate, et une fois qu’on faisait du rap, on voulait faire des shows qui n’étaient pas plates, parce qu’un show de rap c’est plate », explique 20some. Ils ont monté la barre d’une coche avec des performances intenses, un impact qui incite désormais d’autres artistes à faire pareil. « On a envoyé ton rappeur préféré en salle de répète, mon cher », rit O.G Bear.

Ode au public

Avec un enregistrement live, le public est le centre de l’oeuvre: « On était partis sur un buzz, d’enregistrer le public, de voir le public sur le cover. C’est eux le spectacle, c’est pas nous », confirme Yes McCan. Ils s’attendaient à une réponse naturelle de la foule, suite à la parution des quatre singles avant le spectacle. La mise en scène était prévue lors de l’écriture de l’album : « Il y avait des moments avec la foule prémédités. Quand Snail Kid a écrit son verse sur Waiting, six mois avant qu’on aille le faire, il y avait un quatre barres prévu pour s’adresser au public ».

C’est lors d’une écoute de l’album Les Fourmis, où Jean Leloup chante « back and forth avec le public », que Yes McCan voulait également écrire un album pour le live « comme Wake Up Call, où le public qui chante avec nous est intégré, et remixé comme si c’était un sample d’un événement qui s’était passé…je suis très fier de cet album-là ».

De nombreux témoignages recueillis ont leur place dans l’album. Par exemple, « l’interviewer a demandé à une fille combien de fois elle nous avait vus en show, et elle a répondu « Je t’entends pas le weed ici est trop loud », elle a repris une line à Jo RCA, carrément! », raconte 20some. « Ça met en lumière exactement ce qu’on voulait faire avec ça, le monde tripe sur nous, ça se prouve avec l’audio ».

La pochette, c’est le public au noyau du Gesamtkunstwerk : « On voulait photographier le public au lieu de nous photographier nous, donc prendre une photo d’un spectacle à partir de la scène, pour mettre en scène le public », spécifie Jo RCA. Parmi les centaines de photos recueillies, le choix était unanime : « avec les caméras qui filment les caméras et la fille qui se prend en selfie pendant le show, cette photo a un sous-texte évident », justifiant à nouveau la valeur du live par rapport au marchandisage.

Avant-goût

En somme, Dead Obies, selon O.G Bear, c’est « six personnalités très différentes mais très créatives, ce qui fait qu’on est très critiques de notre travail ». Résultat? Un deuxième album qui plait, avec un rap pertinent, des verses qui s’imprègnent, et des refrains mélodieux.  C’est une ode au public et au potentiel du spectacle, dans laquelle chacun y trouvera son compte.

C’est ce vendredi 4 mars que le deuxième opus Gesamtkunstwerk fait parution. À vous de le mettre sur repeat pour être prêts au lancement de vos homies préférés, le 10 mars au National et le 18 mars au Cercle.

Un avant-goût de l’expérience avec ein dokumentarfilm :

 

 

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