Éros Journal

Éros Journal au Prospero | Du grand art !

Fondée en 1982 par le danseur Daniel Soulières qui en assume toujours la direction artistique, la compagnie montréalaise Danse-Cité présente bon an mal an quatre productions originales. Sans chorégraphes ni danseurs attitrés, pour mieux ainsi s’ouvrir aux inspirations nouvelles en « danse d’auteur », elle offre avec Éros Journal au Théâtre Prospero l’appropriation par le chorégraphe David Pressault du mythique dieu grec de l’amour souvent présent en art.

La danse étant une discipline artistique qui expose à l’infini les multiples langages du corps avec une sensualité inhérente, trouve un écho d’une belle singularité chez David Pressault qui mentionne à juste titre dans le programme : « Il y a de l’Éros chez le jardinier qui aime ses fleurs, et chez le danseur qui vit pour danser ».

eros-journal-photoUne démonstration parfaitement réussie ici en une petite heure trop courte pour ce chorégraphe atypique dont le mémoire de maîtrise s’intitule Éros et Pouvoir : Regard jungien sur les situations d’abus de pouvoir entre chorégraphes et danseurs contemporains. Ajoutons qu’il a complété des études en psychologie analytique et que les thèmes de prédilection du psychiatre suisse Carl Gustav Jung, comme le concept d’Éros, l’ont toujours fasciné.

Le numéro d’ouverture du spectacle présente un solo d’une danseuse dans la pénombre qui, plutôt que de donner le ton de ce qui va suivre, est sagement reçu, sans plus. Mais le contraste devient total quand l’espace scénique se transforme ensuite en défilé de mode exubérant, sur un arrangement musical conçu par Michel F. Côté et prodigué à plein régime.

Un à un, les trois danseurs et les trois danseuses apparaissent  côté jardin et suivent une passerelle lumineuse sur la scène en exhibant des costumes outranciers, puis ressortent côté cour, non sans avoir fait montre d’une surprenante diversité de mouvements relevant autant de la performance que de la danse physique et lascive proprement dite.

Ainsi, le spectacle doit beaucoup à l’imagination débordante de la conception des costumes bizarroïdes de Camille Thibault-Bédard, une diplômée en design de mode qui en parallèle a participé à la production de costumes pour de grandes compagnies comme La La La Human Steps et Marie Chouinard, quand ce n’est pas au cirque avec Éloize.

Elle n’hésite pas à utiliser aussi bien la soie que le latex ou des loques de fourrure pour habiller les interprètes, ce qui donnera un danseur perché sur des escarpins rouges à talon aiguille, une danseuse arborant sur sa tête des cornes de mufle, ou encore une autre à la chevelure bleue et verres fumés qui donne libre cours à une discussion entre X et Y sur des pratiques sexuelles hors normes, ce qui procure un effet certain.

Daniel Soulières, qui n’est plus tout à fait jeune, après avoir consacré 35 ans de sa vie professionnelle à l’avancement de la danse contemporaine, est du nombre des interprètes. Lui que l’on associe d’emblée au regretté chorégraphe Jean-Pierre Perrault, et qui a même travaillé au théâtre avec de grosses pointures comme Denis Marleau et Gilles Maheu, est le fondateur du Regroupement québécois de la danse, faisant œuvre utile face à la précarité du milieu. N’empêche, Soulières a interprété près de 200 créations pour une cinquantaine de chorégraphes en Amérique, en Europe et en Australie.

Les autres danseurs sont d’origines diverses et parfois étonnantes. Gabriel Painchaud a été formé en danse classique, après avoir fait une maîtrise en mathématiques. Karina Iraola a complété sa formation avec un stage en danse flamenco. Kimberly De Jong, originaire de Vancouver, a dansé pour Marie Chouinard avant de devenir répétitrice de la compagnie. Dany Desjardins est passé par le dessin et le théâtre avant que sa route ne croise des chorégraphes aussi réputés que George Stamos et Emmanuel Jouthe. Son nouveau projet, Sang bleu, sera créé en février 2018 au Théâtre La Chapelle.

C’est l’artiste visuel torontois Gareth Bate qui signe la scénographie de Éros Journal. De manière intuitive, à partir du contact rapproché avec les danseurs, il a créé plus de 50 dessins projetés sur le mur-écran au centre de la scène. Des dessins pour la plupart érotisants, mais aussi abstraits, qui viennent enrichir la production dont Lucie Bazzo assume les éclairages.

Il n’y a pas de nudité dans Éros Journal, mais plutôt des contacts furtifs tout autant qu’envahissants entre les danseurs, des jeux de rôles sexués, des objets érotisés comme une simple pomme, des évocations lubriques, ou des mouvements suggestifs d’ombres chinoises, le tout dans un enrobage plasticien très esthétisant, ponctué abondamment des sensations allusives d’une chanson toute charnelle comme La vie en rose. Que du grand art!

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