Frank Marino

Festival de Jazz de Montréal 2015 – Jour 4 | Erykah Badu : Une prestation triomphale à la Place des Arts

Certains diront que le R&B n’a pas tant sa place dans un festival de jazz. D’autres opineront que la Place des Arts n’est pas un lieu idéal pour ce genre de concert. Dans les deux cas, Erykah Badu les aura convaincus du contraire avec un show du tonnerre…

Photo par Jordan Dupuis.

Photo par Jordan Dupuis.

Il y a de ces moments qui marquent un festival. La présence d’Erykah Badu en est un de ceux-là cette année pour le FIJM. En 90 minutes, elle a tout simplement renversé la Salle Wilfred-Pelletier sans dessus dessous avec une prestation lumineuse, généreuse, toute en voix et en bonne humeur, et truffée de hits triés parmi ses divers albums.

On ne sait jamais trop sur quel genre de spectacle on peut tomber avec la « first lady of neo soul ».  Artiste ardente et imprévisible, elle peut parfois se perdre dans des jams inutilement étirés (comme ce fut le cas lors de nos deux couvertures de ses spectacles à Coachella et Ottawa en 2011), ou faire rager la foule avec ses retards qui usent la patience même des habitués. Cette fois-ci, rien de tout ça. Que du bon.

 

Bonne heure, bonne humeur

Ses musiciens sont arrivés sur scène à 21h, soit quinze minutes plus tard que prévu. Rien de majeur quand on connaît l’artiste. Encore là, il fallait attendre une douzaine de minutes supplémentaires, durant lesquelles le quatuor (batterie, clavier, basse et percussions électroniques) a fait passer le temps avec un jam digne d’un intermède de Météomédia.

Puis la grande dame est arrivée, comme une diva adorée, accueillie à tout rompre par un parterre gagné d’avance. Elle portait un genre de béret démesuré recouvrant le turban sur sa tête, ainsi qu’une tunique et un long drapé carreauté bleu. Quelque chose d’excentrique évidemment. Elle pose comme une diva, que dis-je, une princesse à l’ego démesuré, et pourtant, le reste de la soirée servira à la rendre au contraire très accessible et proche de son public.

Photo par Denis Alix.

Photo par Denis Alix.

Rejointe par trois choristes, Badu a parti le bal avec 20 Feet Tall, avant de montrer ses couleurs jazz avec la slow ballad Out of My Mind, Just In Time, tirée de son dernier album. Belle occasion de constater la grâce de sa voix, toujours intacte, souple, somptueuse. Ce genre d’organe vocal qui mûrit au lieu de bêtement vieillir.

Puis c’était parti pour les hits, avec On And On, qui a soulevé la foule – plusieurs n’allaient jamais regagner leur siège – et Apple Tree, toutes deux du classique Baduizm de 1997. L’hymne au charme de l’intelligence Cleva suivait avec son groove suave, avant un petit moment presque gospel.

On naviguait ainsi d’un genre à l’autre, du rap-jazz au soul typiquement nineties, en passant par des accents gospel et des grooves funk.

Le côté engagé de l’artiste a forcément fait surface lors de Soldier, tiré de New Amerykah Pt.1. Badu a pris soin de partager au public l’inspiration derrière cette chanson toute spéciale, qui tire ses racines d’un documentaire sur la « Quatrième Guerre mondiale », où l’on illustrait apparemment le phénomène de l’occupation à l’échelle planétaire, mais surtout, l’esprit de résistance de certains peuples. Sans être moralisateur, le monologue a bien servi la chanson, qui elle, servait de pont parfait pour l’interprétation de Liberation, chanson d’Outkast (de 1998) sur laquelle Badu a prêté sa voix.  Superbe pièce où l’on peut notamment entendre ces paroles qui hantent :

And there’s a fine line between love and hate you see / Came way too late, but baby I’m on it / Can’t worry bout, what a nigga think now see / That’s liberation and baby I want it..

La soirée se poursuivait en crescendo, alors que la salle prenait des airs de love-in, de secte complètement conquise par l’irrésistible mojo de Badu. Window Seat allait en rajouter une couche, avant Bag Lady, incontournable. Les gens des premières rangées avaient quitté leurs sièges pour créer un « pit » tout près de la chanteuse. Certains lui lançait des roses, lui tendaient des objets à signer, ou tendaient simplement la main pour l’atteindre. Son sourire radieux transmettait tout le bonheur que cette communion lui inspirait.

 

Prix Ella Fitzgerald

Après Bag Lady, elle quitte la scène en remerciant tout un chacun. À noter qu’Erykah Badu offre rarement un rappel, mais à constater les deux gros morceaux qui manquaient à la grille de chansons, on se doutait bien qu’elle ne quittait pas la scène pour de bon.

Sitôt sortie de scène – ses musiciens s’y trouvaient encore – le directeur artistique du FIJM, Alain Simard, s’est empressé d’empoigner le micro pour annoncer que le prix annuel Ella-Fitzgerald, qui vise à « souligner la portée, la flexibilité et l’originalité de l’improvisation et la qualité du répertoire d’une chanteuse ou d’un chanteur de jazz reconnu sur la scène internationale », était remis cette année à Erykah Badu.

erykah-badu-fijm-conf-presseLa chanteuse est donc revenue sur scène, tout sourire, pour brandir la statuette comme s’il s’agissait d’un Oscar, accueilli par le public comme si on la couronnait Reine de l’humanité entière.

Plus tard – près de minuit, en fait – en conférence de presse, elle confiait aux médias toute sa joie d’être ainsi lauréate, soulignant au passage qu’elle se sentait « liée sans être comparable » à la Grande dame du jazz. « Comme si nous étions de la même tribu », a-t-elle ajoutée.

Mais revenons au concert, parce que ce n’était pas terminé. Après la remise du prix, c’était reparti pour deux dernières chansons, et pas les moindres : Didn’t Cha Know et le classique Tyrone, qui a causé une commotion au sein du parterre. La proverbiale cerise sur le gâteau.

L’artiste en a profité pour gâter ses fans en circulant dans les allées de chaque côté du parterre pour serrer des mains, ainsi qu’au centre, où des centaines de fans s’étaient massés. Un bel élan de proximité, qui a solidifié le sentiment de communion de la soirée entière.

Tout un spectacle. De ceux dont on se rappellera longtemps.

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