Festival de Jazz de Montréal

Festival de Jazz de Montréal 2018 | Quelle représentation pour la scène locale ?

Chaque année, le Festival International de Jazz de Montréal (FIJM) s’impose comme un événement de référence. Eloigné du berceau des titres commerciaux, sa programmation recherchée jouit d’une réputation qui dépasse les frontières. Et si le Jazz de Montréal vise encore à mettre en lumière de nombreux talents de cet univers musical, la place donnée aux artistes jazz locaux dans un festival de cette envergure est à toutefois à questionner. Éléments de réponse avec Maurin Auxéméry, programmateur au FIJM, et le pianiste Simon Denizart.

 La voix est calme malgré les échéances qui arrivent à grands pas, même à long terme. « Je suis déjà en 2019 », s’amuse Maurin Axéméry. Car il est vrai qu’une programmation, aussi minutieuse soit-elle, nécessite de prendre de l’avance, d’être à l’affut des nouveautés comme le fait le Français depuis son arrivée à la programmation du Festival International de Jazz de Montréal (FIJM) il y a 5 ans. Elle a permis un rajeunissement qui offre de nouvelles perspectives et une vision renouvelée dans la promotion d’un style musical somme toute traditionnel qui s’essouffle face aux musiques urbaines d’aujourd’hui. Toutefois, le jazz conserve de l’attrait et s’il y a un fait à souligner, c’est que la réputation internationale du FIJM n’est plus à prouver, permettant d’attirer des grandes pointures à l’image de Herbie Hancock, Dave Holland ou Seal. Mais qu’en est-il des artistes locaux?

 

« La scène locale peine à s’organiser, mais elle existe »

Au fil des ans, certains festivals ont délaissé leur identité ou leur bassin d’artistes régionaux pour une destinée plus prestigieuse et internationale. Pas le FIJM dont la notion « internationale » souligne peut-être une certaine aura mais ne signifie pas un décrochage régional. Et bien que « la scène locale peine à s’organiser, elle existe », selon Maurin Axéméry. Un atout pour la pérennité de l’événement:

Le cadre du festival est resté le même, avec une représentativité locale, en particulier cette année où l’on a saupoudrée la programmation intérieure de premières parties locales.

En effet, le duo composé de François Jalbert et Jérôme Beaulieu est un exemple parmi d’autres, lui qui couvre la première partie du concert exceptionnel de Mike Stern dans un Monument National peu habitué aux premières parties. Le but de cette démarche est étonnant à première vue. « Je ne suis pas en train d’imaginer que des rencontres vont se faire mais l’idée est d’exposer ces gens devant un public connaisseur conquis à la cause des artistes pour lesquels il s’est déplacé », signale le programmateur.

À terme, cette stratégie en salles ou sur les scènes extérieures, qui se nourrissent de la crème jazz montréalaise, fait ainsi découvrir de nouveaux artistes pour qu’érudits et flâneurs s’approprient leur propre forme de jazz. Et si la proportion d’artistes jazz locaux qui se produisent en salle est faible, cela n’occulte pas le fait que le FIJM permet à de nombreux talents d’ici de jouer leurs pièces face à un public ou même percer par exemple grâce au Grand Prix TD qui soutien un artiste sélectionné par un jury interne.

Mais trouver ces perles nécessite un travail important en collaboration. « On fait partie d’un écosystème, illustre Maurin Axéméry. Toute la promotion de la scène locale ne peut pas reposer sur le FIJM parce que l’on n’a pas à disposition les outils pour le faire. C’est l’importance du travail fourni principalement par les clubs du Upstairs et du Dièse Onze qui font un super travail de soutien de la scène locale. Ces deux clubs-là sont nos partenaires, que l’on insère même dans notre programmation. Ce sont un peu des incubateurs. »

* Photo par Benoit Rousseau.

« Il y a beaucoup d’endroits pour jouer du jazz à Montréal »

Voilà qui dresse le portrait d’une synergie qui permet à une proportion non négligeable d’artistes, souvent sortis du CEGEP ou de l’Université, de jouer et se montrer. Pourtant, rien n’est gagné d’avance puisque sortir d’un programme universitaire québécois n’apprend pas la carrière à défaut de saisir les spécificités techniques comme le souligne Simon Denizart, programmé au FIJM le 29 juin à l’Astral. « Des gens viennent chercher une formation pour être professeur, il ne faut pas se le mentir. Mais sur ma promotion, 20% de gens continuent la musique professionnellement », affirme le pianiste.

Simon Denizart. Photo de courtoisie.

Une proportion faible qui propulse certains artistes locaux vers des opportunités incroyables tandis que d’autres restent sur le carreau. En fin de compte, c’est parfois après les études que les contacts professionnels se nouent sur le terrain, en club comme en festival par exemple. « Ceux de Rimouski, du Saguenay mais surtout Montréal donne la place aux artistes émergents, se réjouit le français. Il y a énormément de jeunes sur les scènes extérieures mais aussi à l’Astral avec Jazz d’Ici. ». Ainsi les opportunités existent comme le souligne l’ancien étudiant de l’Université de Montréal :

« Il y a beaucoup d’endroits pour jouer du jazz ici et chaque lieu propose un style particulier… Même, je trouve qu’il y a trop de places par rapport au public. Le vrai défi est d’avoir tout le temps des shows avec une bonne audience, surtout avec l’hiver qui flingue. »

S’il s’est parfaitement intégré à Montréal, Simon Denizart est originaire de Paris ce qui lui offre une perspective comparative intéressante entre les deux villes et leur public respectif. « À Paris, tu peux te permettre de faire trois concerts complets dans la même semaines en ville. Ici, ce n’est pas possible ou tu te tires une balle dans le pied, hormis à la Maison de la Culture où le public est présent à chaque semaine ».

Et si le jazz ne remplit évidemment pas le Centre Bell, son bassin d’artistes à Montréal se renouvelle bien à défaut d’être formaté par les programmes à visée académique des quatre Universités. La musique proposée par Vincent Réhel et Chet Doxas, artistes locaux programmés au FIJM, témoigne ainsi de cette vision expérimentale du jazz qui contribuerait au renouvellement de la scène jazz « qui se fait mieux ailleurs qu’ici parce que c’est institutionnel », avance la révélation Radio-Canada.

Aussi, malgré une belle exposition notamment au FIJM, les opportunités locales atteignent rapidement un plafond limité par un public restreint qui pousserait les pianistes talentueux comme Denizart, Guillaume Martineau ou Jerôme Beaulieu à s’exporter à l’étranger.

Un mal pour un bien au bon souvenir de Montréal et son festival, tremplin de carrière d’un jazz renouvelé…


* Cet article a été produit en collaboration avec Spectra.

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