Festival Interculturel du conte de Montréal 2017 | Les 20 ans de Planète Rebelle

La 14e édition du Festival interculturel du conte de Montréal bat son plein jusqu’au 29 octobre. Une année faste pour cet art oral plusieurs fois millénaire qu’est le conte, le FICM proposant près de 70 spectacles et plus de 75 artistes conteurs dans une quarantaine de lieux culturels. Et impossible de ne pas consacrer toute une soirée aux 20 ans des Éditions Planète rebelle, soulignant le rôle de précurseur de la petite maison, avec ses quelque 130 titres au catalogue qui témoignent du renouveau du conte, tout en faisant place à la relève pour assurer la pérennité de l’art de la parole contée.

Le spectacle d’ouverture, intitulé Territoires, rassemblait au Théâtre Outremont huit conteurs, d’ici et de l’étranger, pas seulement de la France et de la Belgique mais également du Mali, de la Tunisie, de l’Égypte et de l’Irlande.

Chloé Sainte-Marie et Joséphine Bacon.

Chloé Sainte-Marie et Joséphine Bacon.

Les deux porte-parole de l’événement, Chloé Sainte-Marie et la poète innue originaire de Pessamit, Joséphine Bacon, ont fait montre d’une grande et longue complicité en amitié, belle à voir, Chloé chantant en innu et Joséphine racontant en français. « Je suis issue d’un peuple à tradition orale. Sans les conteurs, la vie serait bien triste… », dit dans le programme Joséphine Bacon, 70 ans, qui a publié nombre de titres chez Mémoire d’encrier, et ne peut que se réjouir de ce que le Festival comprenne enfin cette année un volet autochtone qui est là pour rester.

Le Festival interculturel du conte de Montréal, premier du genre au Québec, a été fondé en 1993 par le conteur et ethnologue Marc Laberge qui l’a dirigé jusqu’en 2014, année où l’artiste professionnelle Stéphanie Bénéteau a pris la relève. « Contrairement à 1993, dit la nouvelle directrice, il y a maintenant une dizaine de festivals de conte au Québec, dont Sherbrooke, Îles-de-la-Madeleine, Trois-Pistoles, et jusqu’en Abitibi ».

Mais comment fait-elle pour recruter 75 conteurs de par le monde? « Je voyage beaucoup pour assister à des festivals de contes à l’étranger, de même qu’en région au Québec et au Canada. Mais, j’ai aussi tout un réseau de collaborateurs qui me font des recommandations. Très souvent, les conteurs ont une formation en théâtre, et le lien se fait naturellement. Le conte est livré avec des techniques empruntées au théâtre, comme de jouer plusieurs personnages avec une gestuelle théâtrale, et utiliser l’espace scénique de façon créative. »

Stéphanie Bénéteau.

Stéphanie Bénéteau.

Stéphanie Bénéteau continue en affirmant : « Moi, je revendique très fortement en 2017 l’importance d’être en chair et en os dans une salle avec d’autres personnes venues entendre une parole simple mais puissante, au-delà du virtuel. Je pense que nous avons encore besoin de ce contact humain. Avec des moyens simples, le conte peut nous faire vivre des expériences profondes. Un lien très fort se crée entre le conteur et les gens dans la salle qui écoutent et réagissent intérieurement à une parole bien vivante. »

Bien que ne se tenant seulement aux deux ans, le FICM ratisse large, avec son volet international, ses Grandes soirées comme La grande fête du conte de Planète rebelle, son volet Audacieux et allumés à thématiques contemporaines et innovantes, ses Contes au musée dont quatre cette année, son volet Femmes d’ici, femmes du monde, son volet Relève, son volet anglophone, nouvellement créé, ses Spectacles famille et ses rencontres-causeries. À quoi s’ajoute cette année un volet LGBTQ qui explore cette réalité à travers le conte, notamment avec Ivan Coyote, artiste transgenre accompli, originaire du Yukon et habitant Vancouver, qui préfère ne pas être « genré », selon la directrice qui le ou la qualifie d’artiste absolument « exceptionnel ».

Interculturel veut dire aussi interreligieux, avec des contes juifs sépharades, chrétiens et musulmans au programme. Avec des conteurs aussi qui s’inspirent d’œuvres dramatiques comme Roméo et Juliette, Macbeth ou Antigone, quand ce n’est pas de textes fondateurs comme Gilgamesh, une épopée sumérienne qui a traversé les millénaires sous la forme orale bien avant d’être écrite.

Stéphanie Bénéteau enchaîne :

C’est pareil pour les grands mythes grecs, comme L’Odyssée ou L’Iliade qui avant d’être écrits ont été chantés, contés, déclamés. Même Shakespeare a été influencé par des récits traditionnels et folkloriques. Par exemple, Le Roi Lear était à l’origine un conte que Shakespeare a transposé au théâtre.

Parmi les vedettes du conte au Québec, se dégagent les Jocelyn Bérubé, Renée Robitaille, Alain Lamontagne, Fred Pellerin, François Lavallée, Michel Faubert et plusieurs autres. Certains d’ailleurs ont participé à la soirée Planète rebelle au Lion d’Or qui en a profité pour lancer collectivement ses huit nouveautés.

Du nombre, Petits carnets du rien-pantoute, du grand Marcel Sabourin qui a dit oralement, le matin avec un café, ce qui deviendra par la suite des textes à propos desquels, dans la préface du livre-disque, le comédien Pierre Curzi écrit : « Il faut lire ses textes, pas pour le comprendre mais pour l’entendre, l’écouter. Le lire et respirer comme un sourire qui naît. Marcel le bienheureux ».

Franck Sylvestre

Franck Sylvestre

Autre nouveauté, le livre avec CD de Lise Baucher-Morency, La périlleuse fondation de Ville-Marie, avec douze chansons originales de Gaëtane Breton sur des musiques à partir d’instruments anciens par Gilles Plante. Tout un contraste, voulu, avec cette autre nouveauté, celle de Franck Sylvestre titrée simplement Histoires slammées. Un livre-disque renfermant sept histoires slammées, contées et mises en musique, des histoires qui parlent d’exil, de la ville, du spleen de l’absence, de l’empreinte de l’Histoire sur nos vies, et de l’amour qui traverse le temps.

La directrice de Planète rebelle, au si beau nom prédestiné de Marie-Fleurette Beaudoin, disait : « J’ai publié huit ouvrages de Renée Robitaille, dont le plus récent, La légende de Carcajou, qui est finaliste aux Prix de la Gouverneure générale. Mais je voulais aussi à notre soirée de fête des auteurs dits de la relève du conte, comme Céline Jantet et Paul Bradley qui sont de bons exemples de nouveaux conteurs professionnels en plein dans la création. »

Sa petite maison aux cinq différentes collections, malgré son imposant fonds d’édition qui comprend des gros noms comme Fred Pellerin, n’échappe pas à la précarité du moment en édition. « La conjoncture financière est difficile. Le milieu a connu beaucoup de changements depuis cinq ans, à commencer par les baisses de subventions, et de gros bouleversements avec le numérique, Amazon et tout ça. » Faut-il parler de crise, de clé sur la porte? « Je travaille très fort pour que ça n’arrive pas », ne peut que répondre Marie-Fleurette Beaudoin dont les efforts de distribution des contes québécois en Europe sont louables.

L’éditrice révèle néanmoins à propos du Salon du livre de Paris qu’elle n’y va plus depuis deux ans. « Les stands sont hors de prix, tout est de plus en plus cher, et je ne vends pas assez pour payer mon voyage », dit-elle à regret, en ajoutant cependant pouvoir s’appuyer sur le Salon jeunesse de Montreuil, le plus gros du genre en France.

Toutes les raisons sont bonnes pour soutenir le conte. Le Festival interculturel du conte de Montréal y joue un grand rôle, bien qu’il devrait, même en étant moins copieux, se tenir annuellement pour gagner ainsi en visibilité et fidéliser son public. « Notre mission aussi est de faciliter le dialogue entre les peuples. On parle beaucoup de réconciliation en ce moment avec les Nations autochtones, et il était vraiment temps qu’on leur donne la parole », tient à ajouter sa directrice.

Le spectacle de clôture le 29 octobre à la Maison de la culture Frontenac, de 14h à 22h, consiste en un traditionnel Marathon du conte s’étendant sur huit heures, avec des plages de 50 minutes de contes suivies de 10 minutes de pause, le tout portant sur huit thèmes différents explorés chacun en 12 minutes par quatre conteurs. L’occasion est bonne donc, car ce n’est pas souvent que 32 conteurs se relaient ainsi pour célébrer l’art du conte.

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