Fiel

Fiel (de Marilyn Perreault) au Théâtre aux Écuries | Un bal de finissants qui finit mal

L’auteure, comédienne et metteure en scène Marilyn Perreault ne prend pas les choses à la légère. Pour documenter sa plus récente pièce, Fiel, elle est allée jusqu’à réaliser une cinquantaine d’entrevues dans des salles d’attente qui l’ont poussée à écrire sur le thème des agressions sexuelles dans le milieu étudiant, particulièrement à l’issue d’un bal de finissants. Le sujet est délicat, et elle sait utiliser le théâtre, la danse, l’acrobatie et la vidéo comme moyens pour le dénoncer.

Dès le départ, on peut lire sur l’écran en fond de scène de petites phrases défensives comme « Ceci est le début de quelque chose », ou mieux « Ceci est la promesse d’un gâchis à venir. » Le ton est donné, et ils sont six comédiens-danseurs pour illustrer le propos avec une acuité qui fait peur.

La pièce est la neuvième production de la compagnie Théâtre I.N.K. fondée en 2002 par Marilyn Perreault et Annie Ranger, et qui vise le plus souvent un public adolescent avec des textes québécois inédits. Qu’on pense à Les Apatrides dès 2003, à Roche, papier, couteau… en 2007, ou encore Robin et Marion en 2012, et plus récemment Lignedebus / Bus Stops reprise en 2016, chaque pièce est construite en amalgamant le langage de tous les jours à des envolées poétiques contrastantes, le tout appuyé par la danse et la pantomime de manière intelligemment codifiée.

Les débuts de Fiel sont d’ailleurs rendus pour l’essentiel par le médium danse sur cette petite scène où s’alignent sur les côtés une dizaine de chaises montées sur roulettes. Ces chaises, pouvant être perçues comme le mutisme de la société devant les délits d’ados ne mesurant pas les conséquences de leurs actes, se prêteront ensuite avec beaucoup d’imagination en tant que principal élément d’un décor en constante mutation au service d’un récit télescopé.

Marilyn Perreault signe la mise en scène de Fiel avec de très nombreuses bonnes idées. Par exemple, à un moment donné, elle fait s’asseoir les comédiens derrière l’écran, mais sans qu’on voit leurs têtes. Le verbe est nerveux, décousu, fragmenté, ce qui donne des dialogues éclatés et un rapport de plus en plus ambigu entre les étudiants d’un cours de chimie qui aura tôt fait de déraper faute de professeur.

Les personnages ont pour nom M, L, K, entre autres. La plupart du temps pieds nus, comme en signe de vulnérabilité, ils portent des costumes aussi disparates qu’eux-mêmes. Sans raison apparente, l’un arbore une jupe longue en tissu léger, malgré qu’il soit en chemise blanche et cravate. Tout bouge autour de lui, et comme pour les autres le tapis lui glissera sous les talons. L’aire de jeu, on l’aura compris, étant constamment réinventée.

La plupart des comédiens sont peu connus en dehors des petites salles, mais ils ont tous une formation dans des écoles établies. Marc-André Poliquin, qui a performé déjà à l’Agora de la danse, démontre une forte présence sur scène et son jeu tient la route avec une belle maîtrise. Harou Davtyan, jeune immigrant d’Arménie formé à Lionel-Groulx, remarqué dans Les Zurbains de 2016 et 2017, possède une expérience en gymnastique acrobatique et en arts martiaux lui permettant d’aborder ses rôles avec cet atout supplémentaire.

Même chose pour Nora Guerch, d’origine marocaine, une diplômée de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM qui a fait tout autant des études universitaires en littérature comparée et en cinéma. Marie Fannie Guay, elle, a travaillé souvent avec DynamO Théâtre, et vient de fonder Libre course, une compagnie de théâtre féministe pour l’enfance et la jeunesse.

Alors que Xavier Malo, qui a joué du Larry Tremblay et du Normand Chaurette, pratique également la danse contemporaine. La distribution se complète avec Lesly Velazquez, une comédienne d’origine mexicaine établie à Montréal depuis 2012, et qui peut jouer en espagnol, en français et en anglais.

Malgré quelques faiblesses, comme le cliché des deux rivales se présentant au bal des finissants avec « la même fucking robe », et des répliques sans ressort dramatique comme « Tout ce qui t’intéresse, c’est le câlisse de foot! », malgré l’abus de texte apparaissant sur l’écran comme dans un flux ininterrompu de textos, et un certain manque de liant entre les scènes, Fiel a le mérite d’être une pièce absolument contemporaine.

Enfin, il n’est pas superflu d’ajouter que le Théâtre I.N.K. fait partie des sept compagnies qui ont cofondé le Théâtre Aux Écuries dans le quartier Villeray en 2011, et que c’est cette compagnie qui a mis sur pied le mouvement Femmes pour l’Équité en Théâtre. Ainsi, Fiel compte un nombre égal de comédiennes et de comédiens pour mieux illustrer la dérive des rites de passage de la jeunesse actuelle dans ce qu’elle a de plus troublant.

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