Juxtapose et Naïve de Tangente | Le mystère de la femme-enfant et la dualité du féminisme

L’une est originaire de Finlande et vit aux Pays-Bas, l’autre vient de notre Belle Province. La première s’appelle Cecilia Moisio, la seconde Gabrielle Bertrand-Lehouillier. Deux cultures, et deux chorégraphes amoureuses de la danse contemporaine réunies hier soir au Monument-National autour d’un sujet ô combien actuel : la place de la femme dans la société. C’est ainsi qu’à travers leurs approches artistiques riches et envoûtantes, nous avons eu la chance de questionner, au cours de la même soirée, le mystère de la femme-enfant suivi de la dualité du féminisme. Retour sur cet événement (présenté par Tangente jusqu’à dimanche) qu’il ne fallait pas manquer.


 

En prenant place dans le Studio Hydro-Quebec, on peut voir que le public est encore disséminé. Il reste quelques places vides, dont l’une qui attire immédiatement notre attention et sur laquelle il est écrit « Siège réservé à Marilyn ». Tiens, serait-ce une drôle de coïncidence ou cela annoncerait-il les prémices du spectacle de Gabrielle? Bien sûr, on penche pour l’option numéro 2 avec un sourire en coin.

Les derniers spectateurs tardent à arriver, mais trois petites minutes avant le début de Naïve, une dernière vague se précipite et la salle est à présent bien remplie.

Le noir se fait en même temps que les conversations cessent, et voilà que Gabrielle Bertrand-Lehouillier se lève du siège si particulier dont nous venons de parler.

Elle commence à nous représenter, par le biais de mouvements se rapprochant du mime, une série de tableaux incontournables de la vie d’une jeune fille, comme apprendre à marcher sur des escarpins hauts perchés, se coiffer et laisser entrevoir une féminité naissante, ou encore se familiariser avec son corps par le biais de postures…

Elle saisit un projecteur dont la grille forme des ombres sur le sol, puis elle joue avec cette lumière qu’elle interroge comme un miroir, une boule de cristal… Elle semble à la recherche d’une réponse.

Le public a parfois la chance de voir le personnage s’arrêter et partager des expressions fortes, profondes, tout à fait enfantines. Son corps, lui, décrit la maladresse à travers la grâce.

Une des dernières scènes est particulièrement saisissante, celle où notre femme-enfant apprend la vie mondaine et est confrontée à son premier verre d’alcool. Elle trempe ses lèvres, s’en suivent des mimiques ingénues avant de recommencer et de goûter doucement à l’ivresse. Elle se met à jouer avec le verre, laissant croire qu’il va se briser dans les airs, mais elle le rattrape à la toute dernière seconde d’un mouvement inattendu en même temps que notre souffle se coupe. Puis allongée sur le sol, elle fait rouler ce même verre d’un geste extrêmement bien calculé, pendant que son corps s’anime harmonieusement.

Quand la pièce se termine, les gens applaudissent de bon cœur, on entend même des cris de rappel.

Juxtapose

Après l’entracte, c’est au tour de Cecilia Moisio, accompagnée de la danseuse Katarzyna Sitarz, de nous parler du vaste mystère qu’est la femme dans Juxtapose.

Elles commencent dans une ambiance de cabaret, lumières rouges tamisées, par chanter dans des micros « vintage » et danser avec des mouvements parfaitement symétriques, adoptant une attitude très étudiée et irréprochable de la femme des années cinquante.

Puis elles entament des discussions au sujet des apparences, l’une parle pendant que l’autre appuie de façon risible son propos en l’imageant. On remarque le rapprochement de l’apparence avec le glaçage sur un gâteau, qui déclenche des rires francs dans la salle.

La question des idées préconçues donne ensuite lieu à une scène mythique, celle où les deux femmes – sachant donc supposément bien cuisiner – font des ravages en tentant de concevoir un gâteau, ce qui se termine en fessées entre les deux mauvaises pâtissières enfarinées.

Elles s’excusent alors de leur incompétence en nous offrant un strip-tease, et les deux artistes déjantées répètent « It’s so hot in here » jusqu’à ce que la séance de pâtissières (pas vraiment) modèles devienne un film pornographique les envoyant directement à l’orgasme.

Plus Juxtapose avance, plus les actrices comiques montent graduellement en folie et en colère à travers leur mise en scène jusqu’à l’apothéose où les préjugés sur les féministes en tant que tels sont eux-aussi dénoncés. Leur implication corps et âme n’est pas sans rappeler les Femen et contraste beaucoup avec Naïve et la première partie de soirée puisqu’on est davantage dans le théâtre-danse, où la voix est vecteur de message, tandis que Gabrielle n’usait pas du tout de la parole pour accompagner sa chorégraphie.

Le spectacle se termine par une scène assez déroutante digne d’un spectacle burlesque, où les deux féministes font tourner des accessoires accrochés à leurs seins tels des hélices. Si on s’interroge encore sur leur conclusion, une chose est sûre : les actrices ont marqué notre esprit.

Les « Bravo » fusent, le public se lève pour acclamer la performance scénique de Cecilia et Katarzyna.

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