Philip Glass

Koyaanisqatsi + Philip Glass Ensemble à la Maison Symphonique | Communion et célébration autour d’un chef-d’œuvre

À l’invitation de Traquen’art, le Philip Glass Ensemble venait offrir hier au public montréalais sa seule performance en sol canadien de Koyaanisqatsi. Petit bonus de taille, Philip Glass était lui-même sur scène, faisant partie des neuf musiciens de l’ensemble, dirigé par Michael Riesman.

Forme classique pour une œuvre visionnaire

Pas de flafla avec la forme : les musiciens montent sur scène en suivant les codes établis de la musique classique. On remarque une seule anomalie, le grand écran placé au dessus des musiciens. Rapidement, le film Koyaanisqatsi commence dans le silence (le célèbre lion des studios de la MGM semble bien inoffensif lorsqu’il est atteint de mutisme). Pendant quatre-vingt-cinq minutes, les neuf musiciens interprèteront la musique composée par Philip Glass pour ce film révolutionnaire qui laisse toute la place aux images, à la musique et aux émotions.

Crédits photo : Sylvain Légaré

Ce long métrage sans paroles, paru en 1982, a beaucoup fait pour cimenter la réputation du compositeur américain Philip Glass à l’époque. Le titre de l’œuvre est une expression en langue autochtone hopi qui signifie «vie en état de déséquilibre, de désintégration, de tourmente, qui appelle à un nouveau mode de vie».

Les images saisissantes du cinéaste Godfrey Reggio gagnent plusieurs couches d’interprétation grâce à la trame sonore, tapissée de bord en bord par Glass. Le compositeur réussit à nous faire naviguer entre différentes temporalités à travers sa musique. Les tourbillons musicaux et les motifs hypnotiques qui font la signature de Philip Glass permettent ainsi à cette fable environnementaliste et pacifiste de passer du millénaire à l’instantanéité, de l’intime au cosmique, de la nature à la culture, de l’être à la machine, de l’individu à la ville, de la construction à la destruction, de l’harmonie au chaos.

 

Une œuvre qui gagne à être revue/revécue

Dès les premières mesures, le titre du film résonne comme un mantra, installant le public dans un espace de profondeur qui donnera parfois le vertige. Dès le premier tableau, le spectateur est placé devant la majesté des montagnes, des nuages, des canyons, des déserts. Puis, arrive le feu : l’homme, ses machines, ses villes, sa civilisation. Le cinéaste réussit même à révéler une certaine beauté dans la rapidité de la vie urbaine, dans ce ballet d’humains entêtés à organiser le chaos. Car on y voit entre autres notre propension à s’entraider, car on y saisit le regard de ces individus moins conformistes, qui semblent aller contre le courant, réussissant à attirer l’attention d’une caméra affairée à capter le mouvement de la foule. Malgré son ton résolument environnementaliste qui figure en pointe d’iceberg, Koyaanisqatsi est aussi à nos yeux une œuvre empreinte de compassion et de d’un certain humanisme.

Revoir ce film nous y plonge plus profondément, nous en fait voir d’autres couches. Le langage universel des images et de la musique place le spectateur dans un état d’osmose, ouvrant la voie à de nouvelles sensations, offrant de nouvelles clés pour s’immerger dans cette œuvre d’art total.

Outre la maestria de la réalisation et la bande sonore si marquante, Koyaanisqatsi est encore tout à fait d’actualité, ce qui explique sans aucun doute le choix de le faire vivre encore aujourd’hui sur scène. Ce voyage au centre de la frénésie urbaine, de la surconsommation, du culte de la machine et de l’exploitation effrénée des ressources naturelles colle encore à notre civilisation, 45 ans après avoir germé dans l’esprit du réalisateur. Et le mouvement n’a fait que s’accentuer depuis. C’est dire à quel point cette œuvre était visionnaire à l’époque.

Crédits photo : Sylvain Légaré

La performance d’une œuvre monumentale

Les musiciens impressionnent par leur précision. On apprécie à quel point la musique est exécutée fidèlement à l’œuvre originale, échantillonnages et sons de synthétiseurs vintage venant appuyer le grain de l’image. Bravo de ne pas avoir succombé à la tentation de recourir à des sons plus modernes. Ces sons, parfois froids, contrastent avec ceux des vrais instruments (bois et cuivres) sur la scène. Cette large palette sonore offre un registre hypnotique des plus efficace, permettant au spectateur d’entrer en méditation profonde devant les images somptueuses du cinéaste.

L’ensemble est au service total de l’œuvre cinématographique. Bien qu’il ait le titre de directeur musical et qu’il batte la mesure pour guider l’ensemble, on sent que Michael Reisman, le seul musicien à être placé de façon à voir la totalité de l’écran, se laisse surtout diriger par le flot du film. L’expérience générale est amplifiée par la synchronicité entre les images et la musique, comme si le film était déjà construit comme une partition, dictant le rythme et les mouvements. Par ce fait même, on tombe d’ailleurs rapidement dans un paradoxe, celui d’oublier la présence des musiciens tant leur prestation est proche de la trame sonore ayant été imprimée à même la pellicule, alors qu’on s’est justement déplacé pour les voir jouer live sur les images qui défilent.

Il reste la communion de spectateurs venus passer un moment en présence d’un compositeur phare de sa génération. Il reste l’acte de cérémonie autour d’une œuvre incontournable et marquante qui gagne toujours à être revue et revécue. Et, à la fin du spectacle, il reste la célébration du compositeur et de l’œuvre. C’est un nouveau souvenir qui, comme cette grande œuvre d’art, a rapidement pris au fond de nous la place d’un monument.

Crédits photo : Sylvain Légaré

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