L'affadissement du merveilleux

L’Affadissement du merveilleux (par Catherine Gaudet) à L’Agora de la danse | Tout sauf fade!

Si le merveilleux se met à s’affadir, où cela s’arrêtera-t-il? L’affadissement du titre, mot rarement utilisé dans le langage courant, ne vient pas sans le risque d’une perte graduelle de saveur et d’une chute du merveilleux devenu crépusculaire. Or, c’est tout le contraire qui se produit avec la chorégraphie de Catherine Gaudet pour cinq danseurs, savoureusement présentée à l’Agora de la danse.

Réglons d’abord la question de l’enveloppe de ce spectacle qui fait moins d’une heure. L’excellente photo de Julie Artacho sur le programme de la soirée, et les autres clichés mis à la disposition des médias, sont carrément trompeurs. Ces photos des danseurs en costumes bigarrés et affichant toutes sortes d’appendices accrocheurs, ne sont pas conformes à ce qui est présenté sur la  scène de l’Agora, d’un blanc virginal, et où les danseurs évoluent en étant vêtus d’un simple maillot pendant tout le spectacle.

* Photo par Mathieu Doyon.

Ils sont cinq, trois gars et deux filles aux seins nus, alignés sur ce vaste plateau. En un rang serré d’abord, ils s’adonnent à des jeux de pas de côté qui vont et qui viennent en se rapprochant de nous. Les corps se touchent à peine, sinon par un léger frôlement des bras, et les danseurs se meuvent ainsi dans le noir en tenant les paupières closes. Le degré de difficulté est élevé, mais malgré le risque encouru, la chorégraphie fonctionne. Cette première partie est d’ailleurs la plus réussie de tout le spectacle.

* Photo par Mathieu Doyon.

Catherine Gaudet, qui est aussi créatrice associée à la compagnie Daniel Léveillé Danse, résume ainsi ses intentions artistiques : « Tenter de donner à sentir, à travers le regard pluriel des danseurs, la force vitale qui pousse l’être. Le voir s’engager dans ce cycle incessant de morts et de recommencements, dont il parvient parfois à transcender l’exigence. Esquisser son immuable condition et son acharnement à en sortir. Et faire entrevoir la beauté dans l’inachèvement de cette quête. »

Son langage chorégraphique, rompant avec sa manière propre de scruter l’humain et ses affects dans le passé, comme pour sa pièce Tout ce qui va revient, présentée au printemps dernier à La Chapelle Scènes Contemporaines pour clore un cycle de création, n’en dégage pas moins encore une sorte d’ambiguïté dans son esthétisme, et dans le vocabulaire de sa gestuelle dansée.

Pour y arriver, Catherine Gaudet n’a pas hésité à recourir à Francis Ducharme, aussi à l’aise en performant en danse actuelle que dans la peau du comédien ayant joué Dostoïevski au théâtre. Véritablement, cet artiste insondable nous réserve des moments de grâce qui mettent au défi le contrôle précis de la forme et son exécution, aussi bien que son intellect révèle l’essence de l’œuvre sur cette scène grande ouverte.

Mais on dira que les cinq danseurs sont au diapason, avec peut-être un supplément de notation pour Dany Desjardins, excellant autant de maîtrise corporelle que de « drive » intangible. La danse est un art vivant et il le montre admirablement bien, comme ce fut le cas avec Quatuor Tristesse de Daniel Léveillé au dernier Festival TransAmériques.

L’affadissement du merveilleux, qui a fait l’objet de huit résidences de création, dont une au Centre chorégraphique national de Tours en France, en passant par la compagnie Marie Chouinard et le Centre de Création O Vertigo, commence avec des figures groupées où les danseurs se déplacent en marchant, tel un banc de poissons, pour aboutir en crescendo à la déconstruction des mouvements et à l’éclatement de la cellule mère régissant en entier la vie des interprètes.

Le corpus de l’œuvre part des petits cris de bébés naissants pour se rendre aux longues incantations plaintives et bien sonores des exécutants au corps luisant de sueur sous un éclairage cru, et qui respirent lourdement en battant la mesure, puis se mettent à gémir en une cadence aigüe à fendre l’âme, comme s’ils sentaient venir la mort toute proche.

D’une extrême exigence tant physique que mentale pour les danseurs, la chorégraphie de Catherine Gaudet n’épargne pas non plus le spectateur impuissant devant cette mise en abyme où c’est le pouvoir mystérieux de la danse qui triomphera de tout.

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