Le Désert mauve

Le désert mauve à L’Espace Go | Témoins d’une exploration romantique et intellectuelle

Des images superbes du désert de l’Arizona. Des histoires d’amour qui s’entremêlent. Des destins croisés un peu «au hasard». Un motel, où une jeune femme s’ennuie et veut découvrir le monde. Hier soir à L’Espace Go avait lieu la pièce «Le désert mauve», tirée du roman du même nom de Nicole Brossard, paru en 1987. Présentée dans le cadre du FIL (Festival International de la Littérature), cette pièce produite par Rhizome, est saisissante et troublante. À mi-chemin entre le théâtre, le cinéma, la littérature et la conférence, «Le désert mauve» a su bien rejoindre le public (très compact d’ailleurs), curieux de voir cette adaptation du livre à la scène. Cette véritable hybridation, créature à plusieurs têtes, amorce une réflexion profonde sur la signification du mot «réalité». Comme le dit si bien Nicole Brossard: «Qui serons-nous au sortir de l’image?»

Bande-annonce Le désert mauve from Productions Rhizome on Vimeo.

Le privilège d’être témoin d’un processus de création

Nicole Brossard et Simon Dumas sont assis l’un en face de l’autre, à une longue table. Ils interprètent leurs propres rôles (Simon Dumas agit également à titre de metteur en scène), et discutent du procédé de création de la pièce. On entend ainsi la naissance de leurs idées et la genèse du Désert Mauve, par leurs correspondances et entrées dans des journaux. Plutôt romantique et inhabituel, à l’heure des courriels. Il est tout à fait captivant d’assister à tout ce processus créatif.

On a droit à plusieurs mises en abyme, en même temps — car il est question ici d’un livre dans un livre, et du processus de création d’une pièce, tirée de ce livre… On se sent parfois perdu, et on pourrait qualifier le style d’écriture d’un peu aride; une sorte d’analyse du sentiment amoureux peut rendre la pièce nébuleuse pour les néophytes. Ceux et celles qui n’ont pas lu le livre restent un peu sur leur faim; on ne voit pas vraiment l’entièreté du Désert mauve; il est plutôt intellectualisé. Il y a d’ailleurs quelques longueurs, tandis que les deux écrivains sont devant un décor un peu revêche… C’est statique, ce dialogue autour d’un livre, jusqu’à ce toutefois que les deux créateurs renversent la table sur laquelle ils écrivent. Surprise: c’est un écran géant! D’ailleurs, les murs beiges des décors prennent vie, alors que des vidéos les animent.

 

La quête de soi: romantisme et exploration des frontières

Par ces vidéos, on entrevoit alors l’histoire de Mélanie, interprétée par Judith Rompré (qui ressort particulièrement de la distribution!). À 15 ans, à la recherche de son identité, la protagoniste part pour l’Arizona en voiture, afin de voir autre chose que le motel où elle vit avec sa mère, à Tucson. D’ailleurs, dans ces vidéos, on voit aussi Evelyne de la Chenelière, Marie Gignac et plusieurs autres acteurs et actrices (Simon Drouin, Valérie Laroche, Mélissa Merlo, Todd Picard et Arielle Warnke St-Pierre).

Si cette pièce parle beaucoup du silence, on dénote que les sons utilisés sont troublants. Ils créent des ambiances dérangeantes, et c’est très finement mené. Les frontières se brouillent, entre pièce de théâtre et installation d’art contemporain, alors que les effets sonores «agréablement désagréables» se superposent à des images un peu répétitives. D’ailleurs, on peut se questionner sur l’utilité de répéter un passage au complet. La première fois, on n’entend qu’un enregistrement audio du dit passage, mais ensuite, plus tard dans la pièce, il revient, avec le film «complet». Néanmoins, cette pièce fait rêver de grands espaces, où la magie des mots nous emporte dans des lieux propices à la création. L’émotion véhiculée par les vidéos nous transporte très loin dans ces vastes endroits et espaces-temps oubliés, comme le silence, la nuit, le désert… Inspirant.

 

Aller au-delà de l’horizon mauve

Somme toute, cette pièce rappelle à merveille la fugacité de l’adolescence, ainsi que les impulsions qui y sont nées; les moments fougueux entre les personnages nous rappellent que les personnes-clés de nos vies sont, bien plus souvent qu’on le pense, rencontrées dans des moments de «heureux hasards». Mélange des genres artistiques, mélange des procédés de création, mélange des frontières humaines… Le tout entrecroisé savamment par Nicole Brossard et Simon Dumas.

Vos commentaires