Les Grands Ballets

Le Lac des Cygnes à la Salle Wilfrid-Pelletier | Pari risqué pour le Ballet National de Pologne

Le Lac des Cygnes, classique des classiques du monde du ballet, est présenté à Montréal du 21 février au 2 mars 2019 par le Ballet national de Pologne. Son directeur Krzysztof Pastor a choisi de réinterpréter ce ballet en transposant l’intrigue à la Cour impériale russe à la fin du 19e siècle. Selon lui, l’histoire d’amour du futur Nicolas II avec Alix de Hesse et Mathilde Kschessinska a de nombreuses ressemblances avec le conte d’origine. À vous de juger si cette réinterprétation est convaincante…

Créé par Tchaïkovski en 1877 pour le Théâtre impérial du Bolchoï, le ballet n’obtient pas le succès escompté. Pourtant, les remaniements chorégraphiques (Lev Ivanov / Marius Petipa, 1895) et les innovations dramaturgiques assurent au cours du temps la renommée de ce ballet.

Le synopsis du Lac des Cygnes vient d’une légende allemande mettant en scène un prince, Siegfried, amoureux d’Odette, condamnée par le magicien Von Rothbart à être cygne le jour et femme la nuit. Selon les représentations, l’histoire d’amour entre Siegfried et Odette connaît une issue heureuse ou malheureuse.

 

Décors douteux, danse et musique féériques

Le livret du spectacle nous a prévenus : ne vous accrochez pas à la version originale, rentrez à la Cour impériale russe où le futur tsar Nicolas est tiraillé entre son amour de jeunesse, Alix de Hesse, auquel s’oppose son père et l’attirance qu’il a pour la jeune ballerine Mathilde Kschessinska.

Le rideau s’ouvre sur une scène de rencontre, un « coup de cœur » entre Nicolas et Alix. C’est un mauvais départ, une scène lourdement narrative sur fond de décor peint sans finesse. Cette mise en place se poursuit dans l’Acte I, avec une scène de bal charmante, mais écrasée par un décor de palais avec candélabres, bannières et colonnes corinthiennes dorées, sans espoir que l’esprit du Lac des Cygnes fasse un jour surface, malgré la présence du fameux thème musical.

À l’entracte, le doute s’empare de nous, où est passé le Lac des Cygnes ?

 

Photo par Ewa Krasucka

Heureusement, le doute se dissout à l’Acte II : après des numéros de danses folkloriques (danses polonaises et hongroises), nous retrouvons avec soulagement les chorégraphies et la musique iconique de l’« acte blanc », peuplé de femmes-cygnes. Ce sont 55 minutes d’enchantement, pendant lesquelles le public est invité à applaudir chaque fois qu’un numéro de danse se termine.

Au second entracte, la magie du Lac des Cygnes et des prouesses effectuées par les danseurs du ballet de Pologne a opéré. L’Acte III s’ouvre sur un bal masqué organisé par Mathilde, qui a maintenant conquis le cœur de Nicolas. Ce deuxième bal est nettement plus réussi que le premier : les corps des danseuses ornés de robes satinées, aux couleurs de peintures vénitiennes scintillent comme des emballages de bonbons multicolores. Le numéro de danse espagnole est magnifique. Le retour de Nicolas au monde des responsabilités est très émouvant. Il inclut une danse d’adieux à son père mourant et une autre, à Mathilde, dont le corps, toujours sur le point de s’effondrer, exprime son infinie tristesse.

La dernière scène se déroule au palais, et clôt de manière circulaire le spectacle. Le décor du palais, empreint de cérémonial et de lourdeur, écrase moins qu’à l’acte I : entre deux, nous avons eu accès au monde enchanteur des rêves et de l’imaginaire.

Photo par Ewa Krasucka

La réinterprétation du scénario original

La question de la réinterprétation de l’histoire originale reste tout de même en question. Celle-ci crée de grandes distorsions avec le conte original, contrairement à ce qui est affirmé dans le livret. Il n’y a pas d’opposition tranchée entre cygne blanc et cygne noir, entre Odette – aimée par Nicolas – et Odile – fille du magicien Von Rothbart. Dans la version du Ballet national de Pologne, le futur tsar est amoureux de deux femmes différentes, qui représentent deux mondes qui semblent opposés : l’enfance, l’idéal, au réel et au sensuel.

L’histoire est également complexe et parfois peu compréhensible: pourquoi le père de Nicolas s’oppose-t-il à son amour pour Alix de Hesse et pourquoi change-t-il d’avis ?  Les liens avec la version originale semblent pour le moins distendus. Pourtant, l’intention peut être défendue.  Comment ne pas risquer, en effet, un peu d’originalité, lorsque l’on met en scène un ballet qui a été joué de si nombreuses fois ?

Une fois délivrés du jeu des comparaisons, nous pouvons au moins nous réjouir de découvrir un épisode de l’histoire russe et de nous voir proposer un scénario moins manichéen que l’original. Reste à la fin une certitude : si le synopsis ne convainc pas complètement et si les décors ne sont pas à la hauteur (par goût ? par manque de moyen ?), la musique de Tchaïkovski et la qualité du corps de ballet semblent suffire largement à faire de ce ballet un spectacle éblouissant.

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