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Le problème de l’affichage sauvage à Montréal | Une lettre ouverte à une ville culturelle

Il faut qu’on se parle.

La ville de Montréal aime se positionner comme La Mecque culturelle. Elle finance des évènements énormes qui sont déjà très rentables, dépense des milliards en rénovant de grands espaces touristiques et paye des millions de dollars pour éclairer un pont. Tout cela a une valeur économique et je comprends l’importance d’un tel investissement, mais le tourisme et la culture sont deux choses différentes.

La communauté des arts underground est là où chaque superstar a coupé ses coûts et où la réelle évolution culturelle a lieu avant qu’elle ne tombe dans les filets des médias de masse. Par inadvertance, cela fait depuis plusieurs années que les politiques mises en place par la ville ont un impact néfaste sur la scène culturelle montréalaise, qu’il s’agisse des complications relatives aux plaintes de bruit, zonage ou des questions de permis,
tout le monde dans notre communauté a vécu des histoires alarmantes.

Mon histoire a commencé il y a 8 ans. Avant que Facebook ne devienne omniprésent, les artistes et les producteurs indépendants avaient une façon abordable de promouvoir leurs évènements par le biais de l’affichage. La ville ne mettait peu, voire pas d’espaces d’affichage libre à disposition et donc artistes, producteurs et promoteurs se voyaient obligés d’utiliser les lampadaires afin de diffuser leurs activités.

Le problème est que ce moyen d’expression était qualifié d’illégal. Un groupe de producteurs indépendants, incluant Pop Montréal et le Festival FRINGE Montréal, était tellement exaspéré par les amendes répétées de la ville qu’ils ont formé C.O.L.L.E en 2010. Cette association a permis de réunir des acteurs culturels autour d’un
même engagement, et d’ainsi solliciter les pouvoirs publics afin de trouver une solution. Cela a permis de soulever une question qui touche des créateurs indépendants, car ils n’ont pas les fonds nécessaires à l’achat
d’espaces publicitaires dispendieux – peut-on créer un système pour que légalement, l’affichage libre puisse voir le jour ?

La même année la Cour Supérieure du Québec a condamné la loi anti-affichage à être illégale et inapplicable. La décision, décrétée par la Cour, fût que si la ville ne fournissait pas d’espaces permettant l’affichage libre pour ses résidents, alors tout règlement limitant l’affichage sur le mobilier urbain serait une atteinte à la liberté d’expression de ses citoyens. Après cette décision, la ville a temporairement cessé de distribuer des
amendes laissant la question en suspens.

La Cour avait laissé six mois à la ville pour réviser la loi relative à l’affichage. Sept ans plus tard, nous en sommes toujours au même point.

Les espaces d’affichage n’ont pas été installés en nombre suffisant pour répondre aux demandes introduites par la Cour, et cela en dépit de nombreuses propositions et projets pilotes présentés à la ville par les acteurs
culturels. La ville a de nouveau qualifié cette activité d’illégale, harcelant des membres de la communauté culturelle tout en freinant le développement de l’offre culturelle.

Je dirige une entreprise culturelle avec différents départements dont l’un est une agence de street marketing. Nous distribuons des matériaux imprimés et numériques pour espaces extérieurs ou intérieurs à Montréal pour promouvoir des activités culturelles.

Nous avons certains clients qui sont de grandes institutions culturelles, mais la grande majorité d’entre eux sont des festivals, labels, salles et artistes indépendants, disposant de peu de moyens. L’affichage représente donc une part importante dans leur plan de communication, or souvent notre travail se retrouve injustement impacté.

La ville a délaissé ce précédent juridique et l’impératif moral qu’il convoque. Les employés municipaux semblent croire que l’activité est illégale, ce qui provoque l’harcèlement systématique des agents d’entretiens des espaces urbains et de la police envers les afficheurs.

La ville a aussi imprimé et installé des panneaux de signalisations sur les poteaux avertissant que l’affichage est illégal, en citant une règlementation qui n’existe plus selon mes recherches – et si cela l’était, la ville serait dans
l’impossibilité de l’appliquer.

Chaque année la mairie dépense des centaines de milliers (et possiblement des millions) de dollars au recrutement d’une équipe affectée uniquement à l’arrachage des posters sur les poteaux. De plus, cette absence de législation représente un manque à gagner car les contraventions pour ce motif sont illégales.

En bref, le problème soulevé en 2010 revoit le jour sous un contexte légèrement différent. Montréal est, à ma connaissance, la seule grande ville au Canada qui ne fournit pas d’espace public dédié à l’affichage pour ses citoyens. Il y a eu des propositions de la communauté culturelle montréalaise, dont moi-même. Ma proposition, que je serais prêt à vous présenter, non seulement, c’est à noter, éliminerait des coûts, mais également
génèrerait des revenus pour la ville. Or, la ville n’a jamais réglé ce problème en dépit des efforts de la classe créative à le résoudre.

Vous vous demandez peut-être : en quoi cela nous regarde-t-il ? Il y a trois raisons.

Premièrement, c’est votre argent qui est utilisé. La ville dépense vos impôts comme bon leur semble et a une responsabilité fiscale. Il y a tellement de personnel de la ville qui s’occupe de nettoyer les poteaux dans les artères majeures des quartiers centraux que les affiches sont arrachées en l’espace d’un jour voir même de quelques heures.

Deuxièmement, c’est un risque financier pour la ville et c’est votre argent qui en souffrirait si un groupe de citoyens décidait de poursuivre la ville en justice pour avoir bafoué leurs droits à la liberté d’expression.

Dernièrement – et cette raison est peut-être la plus importante – il est primordial de reconnaitre que le public ne peut être informé de l’ensemble de l’offre culturelle présente sur le territoire montréalais, et sa valeur se retrouve réduite. En effet, des musiciens, humoristes, danseurs et artistes visuels émergents n’ont pas les moyens d’acheter des publicités à la télé, radio, dans le métro ou sur les autobus de la STM. L’affichage agit comme une piste promotionnelle analogue dans un océan de médias numériques qui est accessible pour les créateurs et artistes de notre ville. Il est abordable, démocratique et honnête.

J’espère que vous comprendrez mon désarroi et sachez que je reste ouvert pour poursuivre la discussion. Je suis confiant que le gouvernement municipal n’est pas indifférent au sujet, considérant que notre créativité occupe une place essentielle dans l’identité de la ville. J’aimerais trouver des solutions qui renforcent notre communauté artistique et j’invite la ville et ses citoyens à se joindre à la conversation.

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