L'Énéide

L’Énéide d’Olivier Kemeid d’après Virgile au Quat’Sous | La rentrée théâtrale commence fort !

Le coup d’envoi de la présente saison théâtrale vient d’être donné avec éclat par la production de L’Énéide que le directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous, Olivier Kemeid, a transposé à sa propre famille d’émigrants égyptiens. Comme quoi les crises migratoires que nous connaissons ne datent pas d’hier. Le drame de l’exil forcé au centre de l’épopée de Virgile remontant à l’Antiquité, demeure toujours déplorablement actuel devant l’estimation de l’ONU à 22 millions de réfugiés dans le monde.

« Deux mille ans après Virgile, écrit Olivier Kemeid dans le programme, j’entends encore son chant si émouvant, celui d’une tentative d’instaurer un État neuf et juste, libéré des anciennes rancœurs, libéré du cycle de la vengeance ». L’auteur et metteur en scène de la production au Quat’Sous de la compagnie Trois Tristes Tigres qu’il dirige depuis sa fondation en 2003, ajoute plus loin : « Toute odyssée repose sur des rencontres qui vont changer durablement notre vie », allusion faite à son grand-père qui a fui vers le Québec la capitale égyptienne, Le Caire, en proie aux flammes de la Révolution de 1952. Son père avait alors 6 ans.

Photo par Yanick Macdonald

La création de la pièce, au Théâtre Espace libre en 2007, était prémonitoire de la crise syrienne. Depuis, le texte a été traduit en anglais, en allemand, en hongrois et en italien. Il a été lu et joué à New York, Berlin, Rome, Strasbourg, Limoges, Avignon, Budapest, Bruxelles, Abu Dhabi, aussi bien qu’au Festival de Stratford en 2016.

La reprise montréalaise compte 10 comédiens se partageant 24 personnages, de l’aïeul en déroute qui périra dans les flots sur son embarcation de fortune, au nouveau-né menacé jusque dans les bras de son père, tel Énée errant longuement sur la Méditerranée à la recherche d’une terre d’asile pour son fils, dans ce monde en constant péril. À quelques exceptions près, comme Igor Ovadis, Luc Proulx, ou encore Sacha Samar jouant Énée, la majorité des comédiens ne sont pas connus, mais la distribution n’en est pas moins homogène et à force égale.

De la toute première scène, saisissante et d’un effet des plus réussis, alors que les protagonistes dansent de façon effrénée sur une musique enveloppée de l’éclairage rouge sang qui les consume, Olivier Kemeid a dirigé ses comédiens avec une poigne artistique admirable, une maîtrise de tous les instants, une précision développée avec la plus grande justesse. Rien ne sonne faux, et il n’y a pas de temps morts durant l’heure et 45 minutes que dure le spectacle.

Photo par Yanick Macdonald

La conception sonore de Larsen Lupin soutient et ponctue l’action à merveille, en parfaite symbiose avec les éclairages ombragés et atmosphériques de Julie Basse, une inconnue qui ne tardera pas à se faire un nom, tant la qualité de sa signature visuelle est remarquablement tangible et d’une intériorité artistique toute vivante.

Le texte d’Olivier Kemeid, nourri d’images fortes comme « On n’arrête pas la mer avec ses bras », ou évoquant avec poésie « une terre souriante », est de la force dramatique des grands classiques, livrant sans s’apitoyer au Quat’Sous l’éternel recommencement des plaies de l’humanité souffrante sublimées par le théâtre.

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