Les secrets de la Petite Italie

Les Secrets de la Petite Italie chez Duceppe | Bravissimo !

« Mes personnages sont mon miroir. Ils avancent du mieux qu’ils peuvent dans la vie, imparfaits, brisés, résignés. Ils sont agités, troublés, esseulés, mais ils parviennent quand même à survivre », nous dit le dramaturge et scénariste Steve Galluccio à propos de sa dernière pièce, Les secrets de la Petite Italie, qui débarque chez DUCEPPE tout juste 17 ans après son célèbre Mambo Italiano qui avait été mis en scène également par Monique Duceppe, et joué avec succès à travers le monde.

En entrant dans la salle, on est tout de suite happé par le rideau de scène reprenant les couleurs vert, blanc et rouge du drapeau italien, et intrigué par cet immense arrangement floral où l’on peut lire en toutes lettres La Petite Italie à l’avant-scène. Tout le décor, signé par Normand Blais, est magnifique. On voudrait seulement habiter là, dans cette maison cossue de la Petite Italie où se jouera le drame d’une famille d’Italo-Montréalais typique.

Nous sommes un dimanche après-midi chez Tony, interprété au début sur un ton trop appuyé par Roger La Rue, mais qui se replace par la suite. Tony est dans tous ses états parce que sa femme, cette Amanda que l’on ne verra jamais, n’est pas rentrée à la maison, et il y a anguille sous roche, c’est certain. L’arrivée de leur fils Steve (qui se fera reprocher son prénom non-italien) et du clan familial rassemblant Cristina, Mara et Lia, n’arrangera rien.

Photo par Caroline Laberge

Photo par Caroline Laberge

Lino, le patriarche de 91 ans qui en oublie des grands bouts, est déjà là, rivé à un fauteuil roulant. Michel Dumont, à la fois drôle et pathétique, tient ici l’un de ses plus grands rôles au théâtre. Il est vrai, à vif, fragile mais de caractère fort, et le comédien réussit à merveille, tout en nuances, à rendre son personnage attachant. Déconnecté de la réalité, mais pas toujours, on compatit en le voyant pleurer, déchiré par ses souvenirs des horreurs de la guerre. « Laissez-moi pas tout seul », répète-t-il dans sa détresse.

Alors qu’Amanda n’arrive toujours pas, faisant l’objet de toutes les spéculations, se pointe Ivana, alias Marco, un transgenre qui normalement se tient loin de sa famille de machos italiens. Elle est le fils de Tony, son père qui à 16 ans l’avait chassée de la maison à coups de « bat de baseball » parce que Marco aimait s’habiller en femme. Le sujet est délicat, même à notre époque, mais François-Xavier Dufour, avec adresse et subtilité, nous rend le personnage accessible et acceptable. Ivana détient la clé de l’énigme, et elle exercera sa revanche sur sa famille figée dans le déni en gardant le contrôle de la situation.

Les personnages secondaires ont de la chair aussi, à commencer par la très colorée Lia en propriétaire du plus grand Café de la Petite Italie, rôle que Danièle Lorain interprète avec une très belle maîtrise. Comme si de complexée qu’elle paraissait être en début de carrière, elle avait atteint une belle assurance de comédienne mature. La fille de Denise Filiatrault, qui était dans la salle, est toutefois la seule de la distribution à jouer avec cet accent italien qui la rend si irrésistible. Malgré le drame en sourdine, elle nous fait rire à chacune de ses répliques aussi exubérantes que la mama italienne typique dans une famille où tout le monde s’engueule de la manière la plus normale qui soit.

Né en 1960, Steve Gallucio, qui ne cache pas son homosexualité, est l’auteur de neuf pièces de théâtre, dont Les Chroniques de Saint-Léonard présentée également chez DUCEPPE en 2014, traduction par Monique Duceppe de The St. Leonard Chronicles créée l’année précédente au Centaur. Le verbe de Galluccio est caustique, son ton aiguisé, son propos juste bien québécisé, ancré dans la réalité contemporaine avec I Phone et tout.

Il ne faut pas oublier non plus la conception musicale de Christian Thomas qui à son piano ajoute clarinette, saxophone, trompette, et même un chœur de femmes, enveloppant cette production livrée chez DUCEPPE comme un heureux selfie de toute la Petite Italie.

Poursuivant sa mission populaire de toujours, la compagnie convie ses habitués aux Causeries DUCEPPE le 2 novembre, de 17h00 à 17h45, à l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts. Événement gratuit et ouvert à tous, l’occasion sera bonne pour venir discuter avec les comédiens Michel Dumont, Roger La Rue et François-Xavier Dufour, la metteure en scène Monique Duceppe, et l’auteur de l’heure, Steve Galluccio.

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