L'Exhibition

L’exhibition par Emmanuel Schwartz à La Chapelle | La machine à extraire la pensée pure

Plutôt que d’attendre un lever de rideau assis dans la salle, les spectateurs de L’Exhibition sont invités à passer par les loges et les coulisses du théâtre, un verre de vin dans les mains offert par les artistes, pour aboutir sur la scène où ils resteront debout en formant un carré pour ce préambule d’un spectacle tout à fait inclassable écrit par Emmanuel Schwartz à qui, semble-t-il, tout réussit.

Au centre de cette aire de jeu trône une structure métallique carrée qui s’illumine au gré des déplacements des trois comédiens vêtus d’une sorte de combinaison blanche, comme pour se protéger dans un environnement nucléaire. Le texte d’Emmanuel Schwartz est livré par une voix off de femme, alors que les comédiens ne prononceront aucun mot, sauf de façon inattendue vers la fin du spectacle.

Le public est ensuite invité à prendre place dans les gradins, libérant cette petite scène dont les murs sont faits d’immenses toiles de plastique translucide. On comprend alors à partir du déroulement du texte que le cube métallique lumineux au centre de la scène est devenu sous de hautes considérations philosophiques une « Machine à extraire la pensée pure ». Aussi irréel soit-il, le concept fonctionne.

* Photo par David Ospina.

Navigant en pleine abstraction, le texte fait des aller-retours entre le banal et le très songé, pendant que les comédiens gesticulent sans cohérence. L’apport d’un chorégraphe se serait montré utile, autant que le travail de dramaturgie dont s’acquitte avec justesse et inspiration Alice Ronfard. Mais il n’y a ici aucun metteur en scène, aucun scénographe et aucun chorégraphe. Nous sommes plutôt placés devant un trio d’artistes qui assume sa complémentarité : Emmanuel Schwartz au texte, Benoit Gob au visuel, et Francis La Haye au son. Le programme parle avec raison d’une « autofiction construite à la manière d’un one man show à trois ».

Le génie de Schwartz

Emmanuel Schwartz, qui a travaillé en 15 ans de carrière avec les meilleurs metteurs en scène d’ici, que ce soit Denis Marleau, François Girard ou Wajdi Mouawad, chaque fois très remarqué, est un artiste qui fascine. Ce grand et long barbu sans casting précis a la stature des comédiens chevronnés qui se mesurent avec une apparente aisance aux plus illustres personnages de la dramaturgie universelle, comme le Roi Lear, Macbeth, ou encore Hamlet dont il nous garde des extraits pour la fin, armé d’une guitare électrique.

* Photo par David Ospina.

Son impressionnant tableau de chasse comprend la paternité des textes et de la mise en scène de créations échappant à tout style convenu, comme Chroniques à La Chapelle en 2009, Nathan au Festival TransAmériques en 2012, ou bien Alfred en collaboration avec Alexia Bürger au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2014.

Francis La Haye, lui, est autant danseur que comédien. Il a été formé à Lionel-Groulx, en même temps qu’Emmanuel Schwartz avec qui s’est développée rapidement une belle complicité artistique. Il a dansé pour Virginie Brunelle et Dave St-Pierre, joué au théâtre pour Philippe Boutin et Jérémie Niel, de même qu’au cinéma avec Stéphane Lafleur.

Alors que Benoit Gob, d’origine belge, est lui aussi non seulement comédien et danseur, mais un artiste plasticien formé à l’Académie des beaux-arts de Liège. Il fait partie de la compagnie de Bruxelles Needcompany qui a présenté La chambre d’Isabella de Jan Lauwers au FTA de 2005. Le hasard faisant bien les choses, le peintre a rencontré Emmanuel Schwartz au Festival d’Avignon en 2009, avec des intentions de projets artistiques à mettre en commun éventuellement.

Largement biographique, le texte nous garde constamment sur le qui-vive, comme y arrivent les propositions artistiques les plus déroutantes se déployant en faisant fi des modèles préexistants dans un théâtre d’avant-garde aussi essentiel que La Chapelle Scènes Contemporaines.

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