L'homme éléphant

L’Homme éléphant au Rideau Vert | Benoît McGinnis bouleversant !

En fine renarde de la scène qu’elle sait si bien rester, Denise Filiatrault a vu juste une fois de plus en programmant au Théâtre du Rideau Vert qu’elle dirige la pièce L’Homme éléphant du dramaturge et poète américain Bernard Pomerance. Dans le rôle-titre, magnifiquement mis en scène par Jean Leclerc, le comédien Benoît McGinnis tient là certainement son plus grand rôle en carrière. Il est si criant de vérité que les spectateurs sortent du théâtre complètement bouleversés.

La pièce, créée à Londres en 1977 et basée sur une histoire vraie, connaîtra un immense succès à Broadway deux ans plus tard, jusqu’à recevoir le Tony Award de la meilleure pièce. En 40 ans, l’œuvre dramatique la plus connue de Pomerance aura été traduite en 16 langues et jouée dans 32 pays.

Jean Leclerc, qui a vu la production new-yorkaise dès ses débuts, était sûrement loin de se douter qu’un jour il irait jusqu’à en écrire sa propre traduction et la mettre en scène avec une distribution cinq étoiles où se retrouvent également David Boutin, Sylvie Drapeau, Chantal Dumoulin, Roger La Rue et Hubert Proulx. Il est important de tous les nommer, car ils sont tous excellents.

C’est après avoir lu les mémoires du docteur Frederick Treves, joué ici avec aplomb par David Boutin, que l’auteur a transposé l’histoire du cas médical extrêmement rare du vrai Joseph Merrick, surnommé l’homme éléphant, parce qu’une maladie inconnue alors avait rendu difforme son visage et son corps, au point d’être exhibé dans les foires comme un monstre quasi animal. Il lui fallait pouvoir survivre dans cette société victorienne de 1884, peu encline à tolérer une telle abomination rendant ce jeune homme répugnant de par sa difformité hideuse.

Crédit : Jean-François Hamelin

Crédit : Jean-François Hamelin

Il devra s’exiler à Bruxelles avec son gérant abuseur, joué avec une belle crédibilité par Germain Houde, puis provoquer une émeute à la gare de Liverpool à son retour en 1886, pour enfin rencontrer ce brillant jeune médecin empathique qui lui procurera soins et gîte au Royal London Hospital. Le bon docteur Treves fera naître chez le monstre au cœur d’artiste un commencement de dignité humaine, le faisant passer de bête de cirque à personnage fréquenté par la haute société anglaise.

Parmi ces gens du monde, Sylvie Drapeau, juste comme toujours, humanisera progressivement l’infortuné que sa mère a abandonné à l’âge de trois ans. Elle le prendra même sous son aile, sans que ce soit par pitié, multipliant ses visites au point de provoquer du désir charnel envers elle par Merrick qui lui avouera n’avoir jamais vu une femme nue.

Crédit : Jean-François Hamelin

Crédit : Jean-François Hamelin

Le personnage central, portant maintenant une redingote d’aristocrate tout en restant pieds nus, constitue un énorme défi d’acteur que Benoît McGinnis relève avec brio. En fait, après avoir fréquenté Néron, Hamlet et Caligula à la scène avec grand succès, le comédien est tout simplement magistral dans cette interprétation truffée de pièges, livrée sans avoir recours à des prothèses, comme à New York.

Sa difficile élocution déjà, son port de tête incliné, sa frêle démarche claudicante avec une canne, tout cela aurait pu être trop appuyé ou pas assez, et déraper. Mais, c’est tout le contraire qui se produit avec le jeu précis de Benoît McGinnis qui doit être complètement épuisé après chaque représentation.

Visiblement, il a travaillé, et quel prodigieux travail, en faisant une confiance aveugle en la direction d’acteur de Jean Leclerc, lui-même comédien ayant beaucoup travaillé aux États-Unis, et dont cette habile mise en scène est remplie de finesse et de sensibilité. Comme dans cette scène clé au lourd silence où sa bienfaitrice hésite pendant de longues secondes à serrer la main crochue du patient habitué au rejet. Toute la salle alors retient son souffle.

L’Homme éléphant est un drame psychologique, et il faut s’y attendre, la pièce finit mal. Mais c’est d’un mal qui fait du bien et qui ennoblit la pratique du théâtre devant l’éternel. Bravo au Rideau Vert qui a dû ajouter quatre supplémentaires avant même la première de ce pur chef d’œuvre à ne manquer pour rien au monde.

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