Lumens au Gesù | Voir la musique et la contrôler comme un jeu vidéo

En cette ère où les arts hybrides ont la cote, plusieurs artistes tentent de trouver la symbiose parfaite entre la musique et la vidéo, de créer des outils technologiques qui permettraient leur fusion non seulement sur support mais aussi sur scène. Avec leur spectacle performatif interactif Lumens présenté ce vendredi soir au Gesù, Julien Compagne et Julien-Robert, le binôme derrière l’organisme Video Phase, franchissent un pas de géant en ce sens.

Rencontrés en début de semaine dans leur studio de répétition sur la rue Lajeunesse, à Ahuntsic, les deux acolytes peaufinaient les derniers détails d’un spectacle musical et visuel qui s’avère assez atypique merci. Formé de quatre tableaux inter-reliés de façon cohérente et réfléchie – ils font même appel à Nichel G. Barrette pour assister à la mise en scène – le spectacle d’une durée d’environ 45 minutes compte sur des outils et des instruments électroniques, ainsi que des techniques vidéo manipulées en direct permettant une performance audio-visuelle interactive, laissant même une certaine place à l’improvisation.

« Le concept de base qui menait tout le projet, c’était de représenter visuellement ce qui se passait musicalement », explique Julien-Robert au sujet du premier spectacle du duo, qui avait mis les bases pour cette deuxième production.  Si la musique semble être reine et maître au coeur de leur approche, il y a bien une interrelation constante entre celle-ci et l’image. « C’est la musique qui leade le projet, mais c’est pensé en même temps dès le départ quand même. Le visuel va venir influencer le processus beaucoup aussi. »

 

Voir la musique

Un bon exemple : une adaptation de l’oeuvre Marimba Phase de Steve Reich – qui était à la genèse de tout le projet de Vidéo Phase, d’où le clin d’oeil du nom – avec un visuel « qui montre le procédé musical conceptuel de Reich, les concepts de déphasage, qu’on voit en vidéo en même temps que ça joue. Ça permet aux spectateurs de mieux comprendre la musique en la voyant. »

C’est un peu le leitmotiv du projet : proposer un univers visuel engageant, qui serve de porte d’entrée à une forme de musique souvent perçue comme hermétique. « C’est un point d’accroche important lorsque tu arrives dans la musique plus expérimentale, où il y a moins de repère pour le spectateur moyen. C’est un outil très intéressant pour communiquer ».

Hormis Marimba Phase, les trois autres tableaux reposent sur des compositions originales. À notre visite sur les lieux de pratique, les deux artistes nous ont présenté une pièce électronique avec des « balles » virtuelles qui rebondissent au gré des percussions frappées sur les côtés de l’écran, à la manière d’un jeu vidéo. Les lois de la physique viennent ainsi carrément influencer les sonorités procurées par le processus :

Une autre section, avec des cadres laser semi-transparents, permet une forme de percussion interactive encore une fois, alors que l’autre courte pièce est conçue pour un duo de voix, avec « choeur virtuel ». « C’est un harmonisateur : quand on joue, ça transpose notre voix et ça fait les accords qu’on joue sur un clavier, un peu comme on a déjà vu dans le pop avec Imogen Heap, par exemple. Mais aussi, chacun des voix active un visage virtuel sur un écran, donc on a aussi l’aspect visuel qui est présent ».

Jeu vidéo musical performatif

Musiciens de formation, Julien-Robert et Julien Compagne ont dû apprendre les rudiments de diverses technologies afin de monter le spectacle. « On a été plutôt productifs, et ce sont des apprentissages qui nous serviront beaucoup pour nos prochaines productions. On a appris notamment un nouveau logiciel pour ce spectacle, qui s’appelle Unity 3D, qui est carrément un engin de jeux vidéo. Pour la plupart des scènes du spectacle, le visuel est généré dans le jeu vidéo qu’on a construit pour le spectacle, finalement. »

On a sorti le terme jeu vidéo musical performatif ; on a pratiquement inventé un genre. C’est d’ailleurs un questionnement qu’on a souvent : on essaye de trouver des références, mais on n’en trouve pas tant que ça.

Malgré tout l’équipement nécessaire à la réalisation du spectacle, celui-ci a été conçu et pensé en fonction de la tournée. « C’est notre intention. On peut tourner relativement facilement dans toutes les salles de type théâtre. On l’a pensé pour que tout soit démontable, qu’on puisse tout rentrer dans une camionnette et prendre la route. »

Et il n’y a pas que la tournée dans les plans. La création de Lumens pourrait servir de base à d’autres déclinaisons. « On pourrait, à partir de ça, adapter des parties de projet à des installations ou des performances plus pointues, pour divers lieux et diverses durées. Ou même utiliser les instruments virtuels pour interpréter d’autres musiques. »

Un projet de réalité virtuelle est d’ailleurs prévu pour bientôt, d’ici l’été, avec des lunettes VR stéréoscopiques qui permettront de pénétrer dans certaines scènes du spectacle à l’aide d’une application mobile. « Vu l’aspect immersif du show, ça nous semblait inapproprié d’utiliser un support conventionnel. Il y aura donc une captation en réalité virtuelle et c’est ce qu’on offrira comme support aux gens qui veulent vivre l’expérience chez eux. »  Un environnement virtuel complet sera créé et les deux artistes y seront intégrés. L’application sera disponible en téléchargement, et il sera possible de se procurer les lunettes VR de Google Cardboard à l’effigie du spectacle lors des représentations. « Je pense qu’on est dans un créneau assez unique, de faire de l’art avec cette technologie. C’est encore quelque chose d’assez rare. » À suivre.


* Lumens sera présenté au Gesù (1200 rue Bleury, à Montréal) ce vendredi 6 mai 2016 à 20h. Billets en vente par ici

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