Manifeste de la Jeune-Fille d’Olivier Choinière à l’Espace Go | Nous sommes tous cette Jeune-Fille…

Le dramaturge Olivier Choinière, en une vingtaine de pièces déjà, n’a jamais fait dans la dentelle. Dénonciateur autant que revendicateur, il lui est impossible de se soustraire au sens aigu du bien penser et du bien faire qu’imposent les diktats de la société. À présent, avec son Manifeste de la Jeune-Fille, il nous interpelle particulièrement en faisant de chacun de nous cette Jeune-Fille.


L’auteur, entre autres de Félicité, a puisé son inspiration à la lecture du bref essai d’un collectif d’intellectuels français intitulé Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille, publié en 2001. Un texte fort, qui fait la démonstration que tout, individuellement ou socialement, peut être récupéré, y compris le théâtre. Dans un monde armé d’AK47 et de ceintures d’explosifs, tout se vend et tout s’achète.

Ils sont sept comédiens de tous âges et apparences, à incarner cette Jeune-Fille emblématique voulant à son corps défendant ajouter sa voix au concert dissonant de la société de consommation qui nous regarde nous entredévorer. La recherche d’identification personnelle des uns et des autres y est vaine. Le monstre ultra-capitaliste se nourrit à même sa progéniture.

Le très beau décor futuriste de Max-Otto Fauteux s’y prête à merveille. Un décor blanc comme un présentoir de fine mode, où le scénographe a imaginé un dispositif de larges portes tournantes par lesquelles les comédiens entrent en scène, ou ponctuant l’action soumise au régime des médias, de la culture de masse et de la publicité vorace. Des bouts de texte défilent en simultané sur les modules du décor. Des extraits révélateurs, comme « faire l’amour fait maigrir », ou parlant de brutalité policière, « les arrestations n’arrêtent pas », ou encore « Quel roman lis-tu en ce moment ? ».

Quelques gros noms sont associés avantageusement à la production, comme Monique Miller, Gilles Renaud et Maude Guérin. D’autres, comme Stéphane Crête, sont plus faibles, mais c’est à se demander si ce n’est pas voulu. Et il ne faut pas oublier Marc Beaupré dont la forte présence est une révélation. Chacun personnifie cette Jeune-Fille équivoque, à la recherche du bonheur à tout prix, souvent avec les sept comédiens sur scène en même temps.

Autre révélation, Elen Ewing, qui se paie la traite avec une panoplie de costumes dont les changements se font à vue, et qui correspondent ni plus ni moins à des accoutrements carnavalesques pour les interprètes faisant débouler un texte qui va dans toutes les directions, de Mère Thérésa à Éric Salvail, en passant par le ministre Barrette.

C’est Olivier Choinière, en plus du texte sous forme de réquisitoire allégorique à partir aussi bien de YouTube et de Facebook que du manifeste original, qui signe la mise en scène éclatée de cette pièce de deux heures sans entracte, dont le public fait partie intégrante. Et il n’y a pas de temps mort, tout au contraire.

Même le procédé archi usé du théâtre dans le théâtre ne manque pas d’originalité ludique dans son rendu. À la fin de la pièce, la grande comédienne Monique Miller, dont on pourrait dire qu’elle a tout joué, est déconcertante lorsqu’elle parle d’elle à la troisième personne, et du lieu où elle se trouve, l’Espace Go qui fait aussi partie, avec l’audace amusante d’une auto-promo, de l’argument de la pièce.

Dans une entrevue récente avec Nathalie Collard de La Presse, Olivier Choinière concluait en ces termes : « On ne se racontera pas d’histoire, je me considère moi aussi comme une victime et je m’adresse au spectateur en lui demandant : es-tu victime des mêmes illusions que moi ? ».

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