Max Richter

Max Richter au Théâtre Maisonneuve | L’union de l’électroacoustique et de l’engagement politique

Après avoir cofondé l’ensemble Piano Circus en 1989, interprétant notamment Arvo Pärt et Philip Glass, Max Richter produit régulièrement en concert ses propres compositions ainsi que des musiques de film (Valse avec Bachir de Ari Folman en 2008, On the nature of Daylight pour Shutter Island de Martin Scorcese en 2010). Le musicien et compositeur germano-britannique était de passage hier soir au Théâtre Maisonneuve.

 

Ses compositions sont conçues dans un cadre de protestation politique : bien qu’inspirées par le post-minimalisme, elles recèlent une grande force dramatique. Ainsi, l’intervention américaine en Irak en 2003 lui inspire The Blue Notebooks (2004), et quelques années plus tard, en 2008, il réalise la musique du ballet Infra de Wayne McGregor, en réaction aux attentats à la bombe dans le métro de Londres. Max Richter nous présentait ainsi ces deux pièces hier soir, accompagné de l’American Contemporary Music Ensemble.

 

Une musique envoûtante qui proteste sans mots

Le concert de Max Richter est l’occasion non seulement de redécouvrir sa musique, mais de la comprendre mieux. Sur scène, le caractère hypnotisant et ensorcelant de cette musique semble briller encore plus. Les mélodies circulaires, closes sur elles-mêmes, sont couvertes par une ligne simple et lyrique. Les pièces s’enchaînent et exercent un pouvoir fascinant. Les bruitages se mêlent au piano ainsi qu’au son des violoncelles, violons et alto de l’American Contemporary Music Ensemble.

Cette musique post-minimaliste joue, contrairement à Philip Glass par exemple, sur l’absence de complexité et de polyrythmie. Elle reste une musique tonale qui produit des jeux d’arpèges et envoûte petit à petit le spectateur. On ne s’étonne pas lorsque l’on découvre que Max Richter a composé en 2015 une pièce appelée Sleep, d’une durée de huit heures. Ce compositeur est devenu un maître dans la connaissance non seulement de la musique, mais des effets qu’elle peut produire sur ceux qui l’écoutent.

 

Des créations politiques et engagées

À l’écoute d’Infra et The Blue Notebooks, le spectateur est parfois perdu, cherchant des yeux le film qui accompagnerait une telle musique, au point de se demander si Richter ne joue pas justement avec l’absence d’images pour que nos cerveaux saturés puissent se vider et imaginer à nouveau, refaire leur propre film. Or, ces deux albums sont clairement présentés par Max Richter comme des créations politiques et engagées.

Face à l’absence d’images, l’imagination doit donc prendre le relai et se laisser conduire par le fil de la musique : si celle-ci ne cherche pas à refléter le caractère tragique des événements par un jeu de crescendos et de decrescendos par exemple, elle n’est pas non plus une fuite hors de la réalité qui permettrait de s’échapper. Il semblerait plutôt qu’elle exprime un état de tension extrême où, à chaque instant, la terreur et l’espoir pourraient surgir. La musique de Max Richter crée un sentiment d’attente, tendue et dramatique, reflétant peut-être le moment précédant celui où la catastrophe surgit.

Ainsi, le fait d’assister à un concert comme celui-ci permet de se reposer la question de la nature du lien existant entre musique et politique, mais aussi d’analyser la structure et les effets des compositions post-minimalistes de Max Richter.

 

Infra et The Blue Notebooks.

La première partie du concert commence avec Infra, composée en 2008. Max Richter vient préciser au micro que le titre est une référence directe au métro, qui se trouve « en dessous », « à l’intérieur » de Londres. Il rajoute également que l’œuvre est inspirée par la notion de « travelers » et par le cycle du Winterreise de Schubert, littéralement « Le Voyage d’hiver », dont il aime la musique et la signification : des voyageurs – les humains – qui se dirigent vers la mort. La caractéristique de cette œuvre mélancolique réside, encore une fois, dans l’idée d’une menace prête à surgir, d’un tragique latent qui se fait sentir lorsque la place est laissée au piano ou aux violons.

Dans The Blue Notebooks, Max Richter fait intervenir des textes de Kafka et de Milosz, mais les mots sont peu audibles. Plus que le sens, le fait d’entendre des voix parlées vient ajouter une touche différente à l’ensemble, dominé par une atmosphère empreinte d’un sentiment de mort. Pourtant, la tension éclate parfois, comme dans le morceau Organum, ou dans les jeux de crescendo de la dernière pièce.

À la fin du concert, la dimension politique des œuvres n’est pas forcément celle qui laisse la plus grande trace, mais c’est plutôt l’impression d’avoir été traversé par la musique d’un compositeur qui maîtrise avec perfection l’effet des notes, de la musique, des tonalités et leur effet sur la conscience et les émotions des spectateurs.

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