Monument 0

Monument 0 au FTA 2017 | Un siècle de guerres sublimé par la danse

« Je refuse que mon identité soit réduite à celle d’une femme, hongroise et chorégraphe, et qu’elle ne se rapporte qu’à la danse moderne occidentale », précise tout de suite la chorégraphe, performeuse et danseuse Eszter Salamon dans le programme de son œuvre Monument 0 présentée au FTA, dont le titre complet est suivi de Hanté par la guerre (1913-2013), et qu’elle définit comme un anti-monument à l’humanité traversant tout un siècle.

Le spectacle débute par de longues secondes de silence alors que la salle principale de l’Usine C est plongée dans le noir, et que rien ne se passe. Un silence de mort, bientôt brisé par une voix de femme qui chante en douceur une complainte universelle, mais en nous maintenant toujours dans le noir total.

Suivront une série de solos, puis de duos et qui augmenteront graduellement jusqu’à six interprètes portant un costume noir peint de motifs blancs réfléchissant un peu de lumière. Indistinctement homme ou femme, se présentant avec des maquillages élaborés ou arborant des masques, les danseurs paraissent provenir d’une tribu africaine primitive, à moins que ce ne soit d’une peuplade oubliée hors du temps dans la vaste région vierge du Pacifique Sud.

Danses macabres, rites funéraires ou incantations païennes, sans autre musique que le martèlement des pieds nus sur le sol, ou avec des instruments aussi rudimentaires qu’un petit bâton créant des sons aigus au contact d’une bouteille en verre, des percussions produites par la bouche et la cadence du souffle, des claquements de mains ou de longs bâtons blancs frappant le sol, comme les battements du cœur, les interprètes sont mus par une énergie sans cesse en amont du propos de l’œuvre, parfois même en contradiction avec celui-ci.

« Dans Monument 0, il s’agit de nous, Européens, qui avons colonisé les deux tiers du monde pendant plusieurs siècles », dit encore la chorégraphe qui, dans les faits, a puisé dans une cinquantaine de danses guerrières de tous les continents pour en arriver à son constat sacrificiel.

Avec une esthétique brute et bigarrée, le voyage auquel Eszter Salamon nous convie dans la plus grande rigueur est fascinant. À certains moments, retentit le son assourdissant et oppressant d’une alarme qui n’est pas sans rappeler l’avertissement d’un bombardement imminent sur la population, bouclier impuissant de toutes les guerres qui continuent de faire honte à l’histoire de l’humanité.

Dès l’âge de 4 ans et jusqu’à 20 ans, Eszter Salamon a pratiqué les danses traditionnelles hongroises, puis le ballet classique avant de se consacrer à la danse contemporaine. Depuis 2001, elle a créé des solos et des pièces de groupe remarqués, aussi bien qu’inventé des dispositifs artistiques dédiés autant au musée qu’à la scène. Son travail est aussi perçu en Europe comme l’expression de ce qu’elle appelle une conférence dansée, une vidéo-chorégraphie ou encore un monodrame, chaque fois avec l’exigence d’un investissement physique, mental et spirituel.

Toujours poussée par la conquête de la multiplicité en art, elle a même proposé déjà avec Tales of the Bodiless un opéra futuriste sans chanteur, imaginant des modes d’existence possibles après la disparition des humains.

Monument 0, créée à Hambourg en 2014, est la première pièce d’une série qu’Eszter Salamon entend consacrer à la notion de monument, en s’employant à réécrire l’Histoire à coup d’anti-monuments justement. Pour les deux pièces suivantes de ce cycle, elle travaillera notamment avec des corps âgés sur scène. Il faudra que le FTA la réinvite.

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