Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent

Poésie, Sandwichs et autres soirs qui penchent | La 10e stonerie poétique de Loui Mauffette

Depuis 10 ans maintenant, une réelle frénésie bordélique s’empare de la Cinquième Salle de la Place des Arts, pour un événement festif qui n’a pas son pareil, alors que la poésie est souveraine et emporte tout sur son passage. Pour marquer le coup, du 8 au 15 mai 2016, ils seront 30 passeurs de poèmes, avec des invités épisodiques, parmi lesquels Bernard Adamus, Philippe Brach, Ariane Moffatt et Yann Perreau.

«C’est un spectacle qui vient du cœur et qui s’adresse au cœur. La poésie, c’est l’essentiel, c’est la pureté, c’est la parole du cœur», dit Sylvie Drapeau qui en sera à sa première participation à cette orgie de poèmes juste bien maltraités par une joyeuse bande d’artistes que rien ne freine.

«Loui me l’avait déjà proposé, mais je n’étais jamais disponible, poursuit-elle. Là, je suis si contente! J’avais vu la première édition en 2006, et c’est tellement beau! Au début des répétitions, tout était si morcelé que je me suis demandé ce que je venais faire là-dedans, je me disais que je n’étais pas assez habile pour y trouver ma place, pour bien m’insérer. Mais hier, on a fait un enchaînement, et c’est surprenant ce qui se passe, ce qui émerge de tout ça. Loui a une force instinctive pour présenter chaque chose au bon endroit et de la meilleure façon. Et, en entendant les autres, j’ai senti que quelque chose se construisait sous mes yeux. Les poèmes se parlent entre eux, c’est ça qui est bouleversant.»

Sylvie Drapeau livrera, entre autres, un extrait de son roman Le Fleuve, paru l’automne dernier. Mais, ce n’est pas de la poésie? «Un grand savant a dit que c’était d’un réalisme poétique, lance-t-elle à la blague. C’est Loui qui a voulu ce texte, et s’il a choisi ce texte, je ne m’obstine pas. Je fais aussi un très beau poème d’une Africaine, Maya Angelou, qui s’appelle Je sais pourquoi l’oiseau en cage chante. Loui m’est arrivé avec ça seulement hier. C’est un grand poème sur la liberté.»

 

Soirs qui penchent

On le sait, Loui Maufette est le fils de Guy Maufette, l’animateur radio d’une émission légendaire appelée Le cabaret du soir qui penche, qu’il a animée à Radio-Canada pendant 13 ans, de 1960 à 1973, tous les dimanches soirs entre 19h et minuit, du temps où la télévision prenait moins de place. Il est aussi l’attaché de presse du Théâtre du Nouveau Monde depuis plusieurs années, ce qui lui a permis de découvrir des talents artistiques qu’il a ensuite su exploiter dans son show de poésie extrême.

Loui Mauffette. Photo par Gilles G. Lamontagne.

Loui Mauffette. Photo par Gilles G. Lamontagne.

La bougie d’allumage qui a déclenché l’avènement de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, c’est la mort de son père. Comme s’il avait fallu cette perte pour mesurer l’affection refoulée de l’époque dans la relation père-fils, et vouloir la combler par ce qui prenait une grande place dans la vie de son père, la poésie. Michelle Corbeil, la directrice du Festival international de la littérature, s’est tout de suite montrée intéressée à programmer cette folle aventure.

«J’ai le trac, comme à chaque année, dira Loui Maufette au sortir d’une répétition. La mise en place de tout ça, tu ne peux pas t’imaginer, c’est fou. Il faut presque recommencer à zéro pour faire de la place aux nouveautés, mais j’ai beaucoup de misère à me défaire des anciens spectacles. C’est pour ça que je garde la même structure dramatique : même début avec le texte autobiographique de mon père, Je crois que, même milieu avec Jim Morrison qui correspond à mon adolescence, et même fin avec L’Ode à la nuit de Claude Gauvreau. Ça finit sur l’éternité avec Gauvreau.

«C’est la même colonne vertébrale maniaque dont j’ai héritée de mon père. Autant dans la vie je suis anarchique, bordélique, funky, autant je suis maniaque de l’ordre dans le spectacle et son architecture. Cette année, j’ai deux collaborateurs artistiques, Maxime Denommée et Benoît Landry, pour m’aider à ramasser tout ça.

Photo par Yves Renaud

Photo par Yves Renaud

«On fait Le bateau ivre de Rimbaud depuis 10 ans, ce qui est formidable. Cette année, ce sera avec Francis Ducharme trois soirs et Maxime Denommée trois soirs. On fait un extrait de La pornographie des âmes de Dave St-Pierre sur la grande table avec Esther Gaudette. On rend hommage à Hélène Monette. On a aussi en poésie québécoise Geneviève Desrosiers qui est morte tragiquement à 26 ans en laissant un seul recueil, Nombreux seront nos ennemis. J’ai sauté sur elle, elle m’a beaucoup inspiré. Et j’ai toujours aimé la poésie russe, c’est une histoire de famille, la mère de mon père, une grande pianiste, était Russe. Alors on a bien sûr Marina Tsvetaïeva.

«On en refait plusieurs, et quand un poème est interprété par un nouvel artiste, c’est toujours surprenant de voir comment il prend un tout autre sens. Ce n’est jamais linéaire. Ah oui, on a Félix Leclerc aussi. Moi, j’ai grandi avec Félix Leclerc à Vaudreuil. C’était le meilleur ami de mon père. Quand j’étais petit, on allait jouer dans la grange de Félix Leclerc, avec les décors de L’auberge des morts subites. Je le dis toujours avec fierté, j’appartiens à la première vie de Félix Leclerc, celle où il a écrit ses plus grands poèmes, avant sa deuxième vie à l’Île d’Orléans. Et puis quoi d’autre? On a autour de 70 poètes par show», abrège Loui Mauffette.

« Loin d’une soirée de poésie traditionnelle »

C’est Kathleen Fortin qui chantera La Gaspésie du grand Félix.

Kathleen Fortin. Photo par Gilles G. Lamontagne.

Kathleen Fortin. Photo par Gilles G. Lamontagne.

Elle a fait partie des quatre premières éditions de Poésie, sandwichs…, ainsi que de celle de l’année dernière. Pour cette sixième participation donc, elle lira également un poème d’une jeune autochtone, Natacha Kanapé, en plus des textes en groupe et des poèmes intercalés. «Je connais la patente, soupire Kathleen Fortin, mais nous restons tous très fébriles devant le chaos du début et l’urgence des mots. Mais je connais aussi le bonheur que ça nous procure, de même qu’au public. On a si peu d’occasions d’entendre de la poésie. Ce spectacle, c’est un moyen très organique de l’apprivoiser. Il y a plusieurs parfums, il y en a pour tous les goûts. La poésie, elle est partout. Il suffit, comme moi, d’aimer les mots, les différentes couleurs des mots.»

Anne-Marie Cadieux, Bénédicte Décary, Maxim Gaudette, Julie Le Breton, Pascale Montpetit, Emmanuel Schwartz et Sébastien Ricard sont au nombre des porteurs qui allumeront le feu dans cette enceinte où régnera la poésie, dans toute sa profondeur, dans sa fulgurance comme dans sa douleur, dans sa nécessité, et dans sa grandeur qui nous fait grandir nous en tant qu’être humain.

Sébastien Ricard. Photo par Gilles G. Lamontagne.

Sébastien Ricard. Photo par Gilles G. Lamontagne.

«On est loin d’une soirée de poésie traditionnelle», ajoute Sébastien Ricard qui, entre autres, lira un poème de Roland Giguère, un des pères de la poésie québécoise, et interprétera une chanson d’André Fortin, Le répondeur, qui figure sur l’ultime album des Colocs. «C’est extrêmement émouvant. Nous ne sommes pas là seulement en mots, continue-t-il, mais aussi par un travail au niveau des mouvements des corps qui portent ces mots-là. Et j’aime beaucoup l’aspect de collectivité. La poésie est faite pour être partagée. Elle est comme une forme de spiritualité dans notre monde désacralisé. La poésie, c’est comme une messe, mais une messe laïque», résume si bien Sébastien Ricard.

«Il y a des poètes irréconciliables que je fais cohabiter autour de la même table, tient à noter Loui Maufette. Hélène Monette et Marguerite Duras, pour moi, c’est complètement deux mondes. D’autres, deviennent des chums, comme Nelligan et Rimbaud. Avec eux, Patricia Nolin, Roger Larue et Nathalie Breuer, qui est comme une marraine, et qui sont là depuis 10 ans, qui ne m’ont jamais lâché. Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, ce n’est pas un club fermé pour l’élite underground théâtrale de Montréal, c’est un club ouvert à tout le monde. Puis à la fin, il y a cette grande table où on mange des sandwichs et on boit de la vodka avec le public, pour que ça ne finisse jamais», conclue Loui Mauffette.

 

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