Saison 2017-2018 du Théâtre de Quat’Sous | Habiter la maison à plusieurs

La saison prochaine sera la 62e du petit théâtre de l’avenue des Pins, mais la toute première du nouveau directeur artistique Olivier Kemeid. Un vent nouveau souffle sur le Quat’Sous, un brin de folie, d’audace et de liberté qui font honneur à ses fondateurs : Paul Buissonneau, Yvon Deschamps, Louise Latraverse, Claude Léveillée et Jean-Louis Millette. Et cette saison sera à la hauteur du mythique L’Osstidcho de 1968.

Olivier Kemeid, lui-même auteur d’une quinzaine de pièces et metteur en scène, disait en entrevue après sa présentation : « Le Quat’Sous m’a grandement marqué en tant qu’homme de théâtre. J’y ai fréquenté tant de spectacles, en particulier sous le règne de Pierre Bernard et celui de Wajdi Mouawad, qui font partie des chocs artistiques de mon parcours. Je me sens tout à fait l’héritier d’un théâtre où la parole a toujours été primordiale, ainsi qu’un défrichage de nouvelles dramaturgies. C’est un héritage qui me donne des ailes. »

Placée sous la thématique « Habiter la maison à plusieurs », la prochaine saison commence en septembre par À te regarder ils s’habitueront, avec un collectif d’auteurs nourrissant une douzaine d’acteurs dirigés par pas moins de six metteurs en scène explorant dans un élan vertigineux de réappropriation les grandes questions de la nouvelle diversité culturelle. « On ne sait pas ce qui va se passer », disait parmi ceux-là Mani Soleymanlou.

Suivra Sous la nuit solitaire, texte et mise en scène d’Olivier Kemeid et Estelle Clareton. Sept comédiens et danseurs, dont Renaud Lacelle-Bourdon et Éric Robidoux, navigueront dans les eaux troubles de l’existence en s’inspirant des enfers de Dante, auteur au 14e siècle de La Divine Comédie. On nous promet une plongée saisissante dans les enfers modernes, avec une esthétique de « corps parlant ».

À l’hiver 18, dans une ambiance de cabaret sous la direction artistique de Christian Lapointe, 24 lecteurs et musiciens plongeront tête baissée dans l’inconnu avec ce qui s’annonce déjà comme un happening. Notre bibliothèque à vos livres ! fera ainsi une large part à l’improvisation. Qui le veut pourra déposer un livre dans l’une des boîtes installées dans les environs du Quat’Sous, un geste qui deviendra de façon aléatoire la matière même du spectacle. La production se déplacera ensuite à Québec et même à Bruxelles.

En mars, l’adaptation par Geneviève Pettersen de son roman La déesse des mouches à feu, risque là encore de créer de l’événementiel avec ses 14 comédiennes adolescentes sur la petite scène du Quat’Sous. Deux metteurs en scène, Alix Dufresne et Patrice Dubois, conjugueront leurs efforts pour illustrer l’univers tumultueux des pulsions hormonales adolescentes, souvent faisant suite à une enfance blessée. Une production du Théâtre PÀP qui, pour ses 40 ans et une centaine de créations plus tard, devient une compagnie résidente du Quat’Sous.

Beaucoup d’attentes aussi pour Le Tigre bleu de l’Euphrate, en coproduction avec Ubu, compagnie de création. Le grand maître Denis Marleau mettra en scène l’un de ses comédiens fétiches, Emmanuel Schwartz, mémorable en Pozzo du récent Godot au TNM. Un comédien à part, prodigieux de naturalisme, qui se lancera dans un monologue effréné sur l’humanité, la mort, la haine et l’amitié. Le texte de Laurent Gaudé, un ancien Goncourt, nous amène au chevet d’Alexandre le Grand mourant. En fait, nous sommes à Babylone en l’an 323, et le conquérant à la tête d’un immense empire livre, à seulement 32 ans, son dernier combat. C’est Denis Marleau et son assistante Stéphanie Jasmin qui signeront la scénographie de ce récit épique poussé à l’article de la mort.

En marge de sa programmation, Olivier Kemeid a annoncé le retour pour une cinquième année du tandem Stéphane Lépine et James Hyndman avec une série de lectures d’écrivains français contemporains, notamment Emmanuel Carrère, Joël Pommerat, Laurent Mauvignier et Martin Winckler. Évelyne de la Chenelière pour Pommerat et Fanny Mallette pour Winckler seront chacune lectrice invitée aux côtés de James Hyndman dont la formule se répétera avec bonheur pour une deuxième année au Musée national des beaux-arts à Québec.

Enfin, Olivier Kemeid n’a pas pu s’empêcher de lever le voile sur une pièce surprise prévue pour la saison 2018-2019, et dont il a toutes les raisons d’être fier. Il s’agit d’une coproduction avec le Théâtre national de La Colline à Paris qui, comme on sait, est dirigé maintenant par Wajdi Mouawad. Les deux directeurs se sont entendus sur un texte d’Annick Lefebvre, Les barbelés, que jouera Marie-Ève Milot dans la mise en scène d’Alexia Bürger. Un fabuleux projet transatlantique qui propulsera la parole des femmes jusqu’à son paroxysme. La pièce sera créée à Paris dès l’automne prochain.

On le voit, une nouvelle ère commence pour le Théâtre de Quat’Sous, avec cette annonce en plus d’un comité d’artistes associés, au nombre de 11, parmi lesquels de grands noms, que l’on pense à Marc Beaupré, Sarah Berthiaume ou Catherine Vidal. Avec ce véritable terreau fertile d’idées, de rencontres, de provocations, d’utopies créatrices, Olivier Kemeid montre qu’il est bien entouré, et que son arrivée marquera l’histoire déjà si riche du petit mais légendaire Théâtre de Quat’Sous.

« Contre la désertification progressive de nos sociétés modernes, foisonnons, incubons, vivons », résume dans la brochure de saison Olivier Kemeid, qui a conclu sa présentation en disant : « Cette maison est la vôtre. Longue vie au Quat’Sous! »

* Photo en entête par Julie Rivard.

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