Sang Bleu

Sang Bleu à La Chapelle Scènes Contemporaines | L’essentielle avant-garde

Andréane Leclerc est une diplômée de l’École nationale de cirque en 2001, plus précisément en tant que contorsionniste. Alors que Dany Desjardins a d’abord fait des études en arts visuels avant de s’inscrire à l’École de la danse contemporaine de Montréal. Les deux artistes se sont rencontrés sur la production de Mange-Moi, présentée d’abord à Tangente en 2004, et ils ont eu envie de retravailler en duo cette fois, histoire de mettre en commun le langage artistique propre à chacun.

L’idée était bonne, car Sang bleu, qu’ils viennent de présenter ensemble au Théâtre La Chapelle Scènes contemporaines, est une symbiose des plus réussies de leurs talents respectifs, à travers l’exploration artistique poussée de leurs corps nus qui fusionnent sur scène en livrant le spectacle hybride qu’ils ont imaginé, étape par étape, pendant tout ce temps.

Car Sang bleu aura bénéficié de cinq résidences de création pour en arriver à ce résultat. Parmi elles, l’Espace Marie Chouinard, le Monument-National, et même la New Dance Alliance de New York. Leur spectacle est donc l’aboutissement d’un laboratoire de recherche à la fine pointe s’étant juste bien complexifié au cours des ans.

Sans aucun texte, leur performance s’est inspirée d’une esthétique de la dégénérescence du corps et de la mort, mais dans un processus de renouvellement en constante transformation physique, comme le font déjà l’âge et le temps. Les concepteurs n’hésitent pas à évoquer l’opacité voulue d’un amas de chair et de bactéries qui se pénètrent, se dévorent, se décomposent, non pas comme une finitude mais en tant que substitut vers une autre forme d’écosystème rempli de vie en constante mutation.

Leur travail loge à l’enseigne des influences des tableaux du peintre norvégien Odd Olaf Nerdrum, artiste controversé qui mêle à ses figures classiques des paysages d’apocalypse et des sujets violents, souvent à connotation sexuelle, ainsi que de la série de dessins au plomb Chrysalides de Patrick Bernatchez, représentant des corps nus en interaction fusionnelle avec des insectes, des animaux ou des plantes.

Photo par Val.rie Sangin

Photo par Val.rie Sangin

À cheval entre performance, danse et cirque, Sang bleu offre deux corps souffrants qui se vautrent au sol dans une mécanique de déconstruction proposant des temps forts et des images surprenantes, comme lorsque Dany Desjardins tire à l’excès la peau du ventre de sa partenaire allongée au sol comme une morte.

Photo par Valérie Sangin.

Photo par Valérie Sangin.

L’environnement sonore original, conçu avec grand talent par Olivier Girouard, vient appuyer avec force le climat d’insécurité dans lequel les deux protagonistes se meuvent, allant même jusqu’à occuper temporairement malgré leur nudité deux sièges de la première rangée, tels des intrus volontairement dérangeants parmi le public. Mais, il n’y a rien d’offensant dans leur exécution. La comédienne d’Omnibus, Nathalie Claude, agissant ici à titre de conseillère à la dramaturgie, y est sûrement pour quelque chose.

Andréane Leclerc a complété en 2013 une maîtrise sur la dramaturgie de la prouesse au département de théâtre de l’UQAM. Mais c’est depuis 2009 qu’elle s’est faite remarquer avec des pièces conceptuelles comme Di(x)parue, Bath House et La putain de Babylone, entre autres. Elle pratique la contorsion en tant que technique corporelle capable de faire naître des images et de provoquer des sensations, ce qu’elle a mis à profit en poussant son corps à l’extrême avec des chorégraphes et des metteurs en scène comme Dave St-Pierre, Angela Konrad et Peter James.

Dany Desjardins, lui, est associé à des spectacles remarqués comme Pow Wow (2011) et Winnin’ (2014), tous deux présentés à La Chapelle. Lui-même chorégraphe en plus d’être danseur, il a travaillé entre autres avec Daniel Léveillé Danse, PPS Danse et des chorégraphes aussi reconnus que Georges Stamos, David Pressault, Katie Ward, Dave St-Pierre, Marie Chouinard et Virginie Brunelle. Comme pour Andréane Leclerc, il sait admirablement habiter son corps.

Pulsions de vie plutôt que de mort, désexualisé plutôt que motivé par l’exhibition, Sang bleu confirme l’intérêt du public montréalais, avisé, pour le travail de recherche de la nouvelle génération qui repousse sans cesse les limites de la pratique dans de petits théâtres discordants et artistiquement novateurs, donc essentiels, comme La Chapelle Scènes contemporaines.

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