Sleep

Sleep (avec Big Brave) au Théâtre Berri | L’art de l’hypnose

Par le vent froid du 24 janvier, une foulée de gens arborant fièrement des chandails à l’effigie stoner et doom convergeait vers le petit et moderne Théâtre Berri. À l’entrée, un kiosque de marchandise accueillait les spectateurs et l’on pouvait y lire toutes sortes de slogans dans la veine de «Praise Iommi». Sans aucun doute, c’était déjà prometteur…


BIG|BRAVE

Sorti d’un univers des plus expérimentaux, la formation montréalaise Big Brave fut d’une froideur déstabilisante, alors qu’elle offrit une musique expressive, écorchée et puissante devant une salle mi-pleine. Peu harmonieuse, ou même mélodique, celle-ci se voit construite de crescendos, d’explosions, de lourdeur, de dissonance et de venin.

Malgré le son retravaillé par une panoplie d’effets sonores tranchants, une certaine douceur psychédélique et transcendantale venait parfois séduire l’auditoire, opposant de façon captivante la beauté à la laideur. L’authenticité battait à son plein, alors que le trio s’exprimait sur une scène épurée, placée en demie-lune de sorte à s’échanger quelques regards complices.

Somme toute théâtrale dans ses cris et dans la répétition intense de certains propos, la jeune chanteuse et guitariste s’exécutait sans répit, dévouée à son art. De sa voix puissante, mais à la fois cassée, elle guidait le trio au travers de la lourdeur et de la syncope.

Armés de partitions aux influences contemporaines, Big Brave ont su se démarquer de par la maîtrise de différents concepts uniques et remarquables. En ces 45 minutes de cacophonie et de contrastes atmosphériques, le groupe a su démontrer qu’il était là dans le but d’abattre la convention.

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Sleep

C’est alors qu’apparut le second trio de la soirée, glorieux sous leur panses de bière et leur longs cheveux de pouilleux. Acclamés par une foule dorénavant au-delà de la densité permise, un son vint percer la nuit. Un son plus qu’impressionnant, une signature très particulière, grugé par la réverbération, l’effet « feedback » et la distorsion. Les cris retentirent de plus bel sous le doigté du guitariste Matt Pike et, instantanément, tous s’abandonnèrent aux vibrations de la salle. Projetée par un mur d’Orange Amps, la tendance pesante et massive n’aurait pas put être mieux assumée, déstabilisante, enivrante.

La lourdeur des trois instruments venait envelopper les spectateurs, alors que les basses fréquences étaient rondes et d’un son « gras ». Les effets causés par les filtres sonores, eux, écorchaient le ciel, recréant un effet de rouille et de saleté; une combinaison finale relevant du psychédélisme. Les amplificateurs cillaient, la batterie martelait avec une force surhumaine et les cordes hurlaient alors que les mains d’Al Cisneros et de Pike glissaient sur leurs manches respectifs, usant d’une grande technique. Les trois hommes jouaient de façon précise,  mêlant différents rythmes à différentes émotions.

Comme à leur habitude, la musique usait d’un nombre varié de stimulis, mais trouvait toujours l’équilibre parfait entre la technique et les sentiments plus langoureux ou mystique. Enterrée par la puissance instrumentale du trio, la voix de Cisneros se perdait cependant, ne retrouvant qu’un certain degré d’audibilité lors des passages lyriques plus aigus. Heureusement, la prestation du groupe était pratiquement instrumentale ce soir-là, peaufinée de mémorables envolées progressives.

Un rideau éclairé d’un bleu argenté et d’une teinte de mauve tombait derrière la formation californienne, alors qu’une pluie de rayons et de spectres colorés déferlait sur la foule grâce aux multiples projecteurs robotisés placés tant sur scène que vers le public. Turquoise, jaune, rose… toute nuance y était et recréait une chorégraphie ensorcelante, une expérience pratiquement spirituelle une fois combinée à la musique inspirante et chaleureuse de Sleep.

Le trio était cependant statique dans leurs mouvements généraux, se déplaçant peu de part et d’autre de la scène. Les transitions entre les pièces étaient décousues, longues et souvent confuses, alors que le groupe prenait le temps de s’accorder, de boire de l’eau ou de changer  d’instrument. Pike semblait un peu plus à son aise, déjà moins rigide que son compagnon à la basse, mais tout aussi concentré que le percussionniste.

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Le groupe dégageait une humeur plutôt sérieuse et semblait compter sur la musique comme moyen d’expression et d’extériorisation avant tout mouvement corporel. Agrémenté de quelques échanges non-verbaux entre Pike et Cisneros, l’aspect physique était au final peu travaillé et, outre les rares et brèves interactions de Cisneros, parfois gâchées par de stridents « feedback », ce fut à la technique et les éclairages de divertir la salle à quasi guichets fermés.

En toute intimité, ce soir-là, les virtuoses ont offert une grande variété de leurs classiques, passant par The Clarity, Holy Moutain, Aquarian, From Beyond et une improvisation de la première partie de l’expérimentale Dopesmoker. Généralement silencieuse, la foule observait avec stupeur et émerveillement. C’est lors des premières notes de Dragonaut que le public s’est réellement enflammé, chantant en chœur le grand hymne.

Si la densité du parterre empêchait toute forme de « pit », les têtes tombaient lourdement en harmonie avec les rythmes de blues sudiste. Bien que la fumée ne fut jamais perceptible, une forte odeur de marijuana régnait tout au long de la soirée, qui tout de même, rappelons-le, était sous la thématique du cannabis; un symbole sacré pour le groupe et ses adeptes.

Ayant une fois de plus prouvé leur maîtrise totale et leur compréhension unique de l’univers stoner, le groupe quitta les lieux, au grand regrets des spectateurs…

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