Tangente : Sensorialités | Trois pièces pour explorer le monde des sens

Le triplé Sensorialités de Tangente est présenté jusqu’à dimanche dans la nouvelle bâtisse de la danse, l’édifice Wilder. Une bonne occasion de faire d’une pierre, deux coups en découvrant à la fois les nouveaux murs où se tiendront la plupart des spectacles de la compagnie, mais aussi de nouveaux talents chorégraphes.

Sensorialités propose trois créations de trois étoiles naissantes de la chorégraphie, toutes différentes et soucieuses d’explorer le monde des sens à leur manière. Pour la première et la troisième pièce, le public était invité à prendre place directement sur la scène, tandis que les interprètes évoluaient à travers lui. Cela a permis de l’intégrer directement dans les création, ne le reléguant plus à la simple place de spectateur receveur : il est devenu acteur lui aussi des créations.

 

Aisthesis

La première pièce, Aisthesis, de Josiane Fortin fut interprétée par Myriam Tremblay-Quévillon et Antoine Turmine.Les danseurs évoluent dans la pénombre, tâtant et creusant l’air par leurs mouvements. Il y a une très belle recherche sur les ondulations du corps de la part des deux artistes qui travaillent aussi sur la répétition du geste et ses variations de vitesse. C’est ainsi qu’on voit apparaître des allusions à un pianiste qui finit par devenir autre chose tant le geste se transforme.

Les interprètes n’ont pas forcément de contact physique ou visuel mais ils se comprennent et s’entendent à travers leur respiration qui est traitée comme un véritable moteur de la pièce. À certains moments, de la musique vient les accompagner mais c’est presque dérangeant tant elle apparaît peu et nous sort de cette bulle où les danseurs nous ont emmenés. Un autre petit bémol est les costumes choisis qui restent peut-être trop sombres et banals pour une salle déjà plongée dans une quasi obscurité mise à part les douches sur les danseurs à quelques endroits. Aisthesis reste tout de même notre grand coup de coeur de la soirée.

Viscosité

Viscosité d’Anne-Flore de Rochambeau, présenté en seconde partie, fait évoluer cinq interprètes (Liane Thériault, Marijoe Foucher, Keven Lee, Marine Rixhon, Gabriel Painchaud) dans différents tableaux qui retracent la dynamique des fluides. Projet ambitieux lorsqu’il s’agit de le retranscrire avec des corps humains qui sont solides mais c’est aussi une belle réussite que cette création. Les corps se meuvent aux sons d’une musique qui avance, elle-aussi, pas à pas.

Plusieurs tableaux se succèdent : derrière un voile à moitié baissé, dans des sacs plastiques transparents, ou en tenues de couleur chair. L’architecture de la pièce semble toujours en train d’être créer et de se construire sous les yeux du public.

Certains mouvements sont les moteurs de la pièce et on assiste à de très beaux moments notamment certains portés ou éclairages. Les danseurs ont tous une expressivité qui leur est propre. Cependant, on pourrait peut-être s’interroger sur la pertinence du voile à moitié baissé : au final, il est surtout fatiguant pour les yeux du spectateur qui doit osciller entre vision claire et obstruée. Peut-être aurait-il fallu le baisser plus voire complètement.

De même, la pièce a semblé un peu longue sur la fin et le traitement des parties fut assez inégal même s’il n’en reste pas moins que le but de la création a été atteint : les diverses techniques utilisées viennent chercher des émotions chez le public.

 

Sand Body

La troisième et dernière pièce de la soirée, Sand Body, créée et interprétée par Meryem Alaoui fut sans aucun doute la plus intrigante de toute la soirée. Le public prend place sur le sol de la scène recouvert d’une bâche et où plusieurs sceaux de sable se trouvent. Sur une bande-son enregistrée par l’interprète (Close your eyes / Open your eyes / Stop / Continue / Pause…), les spectateurs sont invités à suivre à la fois les mouvements de la chorégraphe mais à se laisser porter par cette voix envoûtante. Difficile de s’abandonner cependant lorsqu’il y a tant de monde autour !

L’une des grandes réussites de cette création est cependant de nous inciter à tout regarder autour de nous, que ce soit les autres personnes qui assistent à la pièce ou l’artiste qui déambulent à travers nous et à écouter chaque bruit ambiant. Nous avons un peu l’impression que le temps s’arrête et se met lui aussi sur pause le temps que la pièce se construise.

La fin nous plonge dans un questionnement : on entend des pas quitter la scène après un énième « please, close your eyes » et cela nous laisse démunis. Néanmoins, la création de Meryem Alaoui mériterait de prendre place dans un espace plus grand et avec plus de mouvements de la part de l’extérieur comme un musée, le métro, une place publique afin de lui laisser plus de temps pour se bâtir et évoluer en elle-même. Trente minutes parurent en effet bien courtes pour cette création qui se mériterait plusieurs heures et un espace moins clos.

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