Te tenir contre moi au Prospero | Du théâtre trop poétique

Les deux comédiens de Te tenir contre moi, un couple formé par Sophie Martin et Xavier Mailleux, sont déjà en scène quand on entre dans la Salle intime du Théâtre Prospero. Ils se toisent, bougent à l’occasion, comme si la pièce était déjà commencée avant l’arrivée des spectateurs.

Les murs sont lambrissés de feuilles de papier collées là de bas en haut, certaines avec une pâle copie de la photographie d’une tête de femme. Sur la scène, côté jardin, se trouve une caisse de belles pommes rouges, alors que d’autres encore sont disposées un peu partout au sol. Côté cour, une cuve dans laquelle s’accomplit le supplice de la goutte d’eau. Un décor à deux piastres donc, mais c’est sans compter les pommes… Là n’est pas la question. On peut offrir de l’excellent théâtre sans le moindre élément de décor.

L’action commence enfin. Et le couple de comédiens, Élizabeth et Tom, ne vont pas perdre leur temps : coups de pied aux jambes, clés de bras et autres prises de lutte où elle est aussi forte et douée pour la violence que lui. Mais, pourquoi se battent-ils au juste? On ne le saura que beaucoup plus tard. La pièce du Néo-zélandais Gary Henderson, Skin Tight, traduite par Xavier Mailleux, ne se déroule pas réellement au présent, mais plutôt dans la réminiscence d’un passé douloureux marqué par le deuil.

Crédit photo: Thibaut Larquey

Crédit photo: Thibaut Larquey

Par intervalles, le couple se rapproche et les deux s’enlacent. Ils se rappellent leur première fois ensemble : « À quoi tu pensais? », « Qu’est-ce qui te faisait le plus peur? » Les réponses sont attendrissantes. Mais, le calme ne dure pas longtemps. Ils discutent en haussant la voix, sans qu’on sache de quoi ils parlent au juste, sinon par bribes : elle est jalouse de la guerre, car c’est une grande aventure réservée aux hommes; il est jaloux du jeune tondeur de moutons qui a tenté de la séduire pendant qu’il était à la guerre justement…

Elle crie, il pleure, pendant qu’ils ressassent leurs souvenirs de couple qui se connait trop bien. Le couteau dont il se sert pour trancher une pomme se retournera-t-il contre elle? Ou contre lui? À même la cuve d’eau, elle lui lave le haut du corps, et lui, plus tard, les cheveux. Ils chantent ensemble joliment en langue maori de Nouvelle-Zélande, chose qui aurait dû être identifiée dans le programme avec l’essentiel de ce que relatent ces si beaux chants.

Plus littéraire que théâtral

« Je me languissais de tout toi », « Nous ne sommes pas parfaits », « Je croyais que la mort serait une chose facile », sont parmi les courtes phrases qui se mélangent à « l’odeur de la sapinière », ou encore cet enfant « comme une petite boule rouge ». Le texte de Gary Henderson est tellement poétique qu’il livrerait davantage sa beauté à la lecture, livre en main, plutôt que joué au théâtre. Et même, il faudrait plusieurs lectures, tellement les indices du drame sont trop habilement dispersés dans le récit.

Rien à redire cependant sur la mise en scène du Belge André-Marie Coudou. Il a su tirer le maximum dramatique de l’exiguïté des lieux, et bien doser l’intensité du jeu des deux comédiens.

En codiffusion avec le Groupe La Veillée, la pièce est présentée par Le Théâtre L’instant, une compagnie créée au Québec par des Belges. Au cours des dix dernières années, André-Marie Coudou, le fondateur, a signé une quinzaine de mises en scène mélangeant les accents de la francophonie, dont la plus récente est La fête à Jean, de Pier-Luc Lasalle.

À signaler aussi, les éclairages astucieux de Martin Sirois qui a regroupé 12 spots éclairant seulement le centre de la scène. L’effet obtenu est des plus réussis. De même que les scènes de combat, pour lesquelles la production a fait appel à Phong Doan, un chorégraphe de combat, ce qui est plutôt inhabituel au théâtre, surtout que l’équipe était déjà composée du chorégraphe Ian Yaworski.

L’auteur néo-zélandais, Gary Henderson, est un habitué des Festivals Fringe, dont celui d’Édimbourg où il s’est mérité le premier prix en 1998. Plus proche, en 2013, il a reçu le Playmarket Award qui récompense l’auteur ayant le plus contribué à l’évolution artistique du théâtre néo-zélandais. Le fait qu’il soit aussi metteur en scène et professeur d’écriture théâtrale n’est pas étranger à la facture de ce théâtre aussi physique que cérébral, mais un brin trop poétique et refermé sur lui-même.

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