Gustafson

Théâtre de Quat’Sous – Saison 2016-2017 | Le meilleur pour la fin

Le Théâtre de Quat’Sous n’a plus l’aura artistique qu’il avait. L’esprit de ses fondateurs, dont Paul Buissonneau et Claude Léveillée, a été enseveli sous les décombres de l’ancienne synagogue de l’avenue des Pins où tant de grandes choses, exceptionnelles, comme L’Osstidcho ou le Grand Cirque Ordinaire, ont fait avancer la pratique même du théâtre ici, et consacré l’audace hors norme qui a rendu le lieu légendaire.

Différents directeurs artistiques, principalement Pierre Bernard et Wajdi Mouawad, ont su donner au Quat’Sous un second souffle, une seconde vie. Mais depuis que cet empilement de blocs pour toute architecture a remplacé la synagogue rasée, et l’arrivée d’Éric Jean à la direction artistique, avec souvent des propositions artistiques faibles, certains ont même dit que, ayant perdu ses fantômes, le Quat’Sous aurait dû changer de nom.

Éric Jean, lors de l’annonce de la saison 16-17 du Quat’Sous, est venu confirmer devant les médias que cette prochaine saison, la treizième sous sa signature, serait sa dernière. Son successeur à la direction artistique du Quat’Sous devrait être connu avant la fin du mois de juin.

Mais, comme s’il avait voulu garder le meilleur pour la fin, la dernière et prochaine saison d’Éric Jean à la barre du Quat’Sous paraît correspondre à l’âme retrouvée des lieux, avec un heureux mélange d’audace créative et d’originalité artistique.

 

Programmation 2016-2017

La saison s’ouvrira avec Le Royaume des animaux, de Roland Schimmelpfennig, un auteur allemand contemporain dont la grande comédienne Monique Miller vient de livrer une lecture troublante de la pièce Temps universel 0, dans le cadre de la semaine Territoires de paroles initié par le Théâtre Prospero. Cette fois, il est question de «comédie cruelle et abêtissante» où se déconstruisent et se confrontent des acteurs condamnés aux éternelles reprises d’une pièce sans pitié se déroulant dans une steppe aride.

Cette parabole du théâtre dans le théâtre et de la déchéance des rapports entre les acteurs à sa suite n’a même jamais été jouée en France. Angela Konrad, qui avec Dominique Quesnel a traduit la pièce, signera la production où se retrouveront entre autres Éric Bernier et Lise Roy.

Photo par Martin GIrard

Photo par Martin Girard

Suivra, pour une quatrième édition, Le théâtre des écrivains, concocté par Stéphane Lépine, et constitué d’une série de lectures par le comédien James Hyndman faisant ressortir le «théâtre intérieur» d’écrivains de renommée, parmi lesquels Nathalie Sarraute et François Weyergans. Un choix d’extraits, entre autres de Milan Kundera et de Gabriel Garcia Marquez, fera même se déplacer plus tard James Hyndman au Musée national des beaux-arts à Québec.

En novembre, arrive une création du prolifique et auteur majeur de notre dramaturgie qu’est Larry Tremblay, dont ce sera le 28e opus pour le théâtre. Le Joker prendra l’affiche du Quat’Sous dans une mise en scène d’Éric Jean, ce qui consacrera une troisième collaboration artistique entre eux deux. «Ce n’est pas une pièce facile à raconter», dit d’emblée Larry Tremblay en entrevue. Il y a une histoire, une comédie, mais qui n’est pas portée par un thème. Au fil des versions, j’ai découvert que ce texte reflète et interroge la peur que nous avons de l’autre, qui qu’il soit. J’ai utilisé les ressorts du vaudeville pour que coexistent la peur et l’humour.

«Le Joker, c’est une carte qui prend toutes les valeurs, mais c’est aussi quelqu’un qui fait des jokes, quelqu’un qui peut nous manipuler. En fait, on ne sait pas trop qui il est. Ce n’est pas un personnage réaliste, mais une conscience qui se serait incarnée. Les autres personnages vont interagir avec lui comme avec un fantôme devenu normal pour eux.»

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Photo par Pierre Manning.

Ce Joker, à qui on pense en tant que rôle masculin, sera joué néanmoins par Pascale Montpetit. «Au départ, reprend Larry Tremblay, le Joker était asexué. C’est un personnage qui n’existe pas dans le monde réel, mais qui n’arrête pas de faire se poser des questions aux autres personnages. C’est comme un avocat du diable finalement.»

La pièce se déroule au cours d’une seule nuit. André Robillard, un jeune comédien de Québec qui jouera le fils poète raté du couple improbable entre un policier et une journaliste qui meurt mais ressuscite, ajoute : «Chaque personnage joue un peu dans son monde. C’est très déroutant parce qu’ils sont tout le temps surpris par ce qui leur arrive, par ce que le Joker leur révèle d’eux-mêmes, cachés chacun derrière leur façade.»

Audition fictive et épopée scandinave

Après Gustafson, duo musical et théâtral formé d’Adrien Bletton et de Jean-Philippe Perras, mis en scène par Sophie Cadieux, suivra en janvier une reprise de Auditions ou Me, myself and I, un «catastrophique processus d’auditions» pour arracher à n’importe prix un rôle dans Richard III de Shakespeare. Une audition fictive et névrotique pour laquelle Dominique Quesnel s’était démarquée en 2015. Lise Roy, qui en sera à sa deuxième pièce de la saison dans ce théâtre, jouera sous la direction d’Angela Konrad, un doublé pour elle également.

Suivra, adaptée et mise en scène par Olivier Morin du Théâtre de l’Opsis, Peer Gynt, une fable d’Henrik Ibsen qui se classe au sommet de la dramaturgie. Jean-Pierre Ronfard, jadis, en avait osé une version décapante et inoubliable. Rêverie, mensonges, fautes de jeunesse, bouffonnerie philosophique et humour noir de cette épopée scandinave sans logique apparente seront illustrés, outre Olivier Morin, par Émilie Bibeau, Kim Despatis et Guillaume Tremblay. À noter : la musique sera signée par le groupe Navet Confit.

Fin février 2017, nous attend une nouvelle édition d’Attentat, «fête féroce» orchestrée par Gabrielle Côté et Véronique Côté ayant comme assise «un matériau dangereux, bouillant, dévorant» que sont les mots d’une trentaine de poètes québécois aguerris. Sont du nombre de ce «happening poétique» Hubert Aquin, Jean-Paul Daoust, Carole David, Évelyne de la Chenelière, Roland Giguère, Gérald Godin et Gaston Miron, mais aussi plusieurs poètes moins connus. Les huit comédiens avec de la frappe séviront ensuite au Périscope à Québec.

Les manchots, une proposition forte d’Olivier Kemeid pour le texte et la mise en scène, avec la compagnie Les Trois Tristes Tigres, s’amène ensuite sur la scène du Quat’Sous. Quatre acteurs, dont Paul Ahmarani, confinés seuls dans une chambre d’hôtel à Kiev, Oslo, Montréal et Alexandrie, seront placés chacun devant la réalité violente d’un échec amoureux, et le choc d’un retour brutal dans son pays d’origine.

Littérature et musique feront la paire en avril 2017 avec un spectacle intrigant de Denis Plante qui mariera son instrument de prédilection, le bandonéon, à des textes inspirés d’auteurs argentins comme Borgès, Discépolo, Arlt et d’autres dont le poids des mots s’est opposé à la montée du fascisme dans le Buenos Aires des années 40, tout en y mêlant subrepticement le tango et la milonga. Denis Plante sera sur scène avec sa musique originale, accompagné d’un guitariste et d’un contrebassiste.

Intitulé La Bibliothèque-interdite, l’intérêt pour ce spectacle monte d’un cran sachant qu’il réunira une fois encore le tandem gagnant de Brigitte Haentjens et Sébastien Ricard qui se partageront la mise en scène, en plus pour Ricard de réciter et chanter cet opéra-tango personnifié. «Je ne fais pas tant de mise en scène qu’apporter un regard extérieur, commente Brigitte Haentjens. C’est un travail collectif, et j’aime assez ça car je n’ai pas à porter toute l’œuvre.

«Je trouve que le texte de Denis révèle assez bien l’univers de Borgès, sans le nommer, car il a eu des problèmes avec les ayants droit. Le thème de l’enfermement est bien présent, chez cet écrivain qui avait même perdu la vue. C’est un spectacle atypique, comme une comédie musicale, sauf que ce n’est pas une comédie. Et travailler avec Sébastien, c’est chaque fois un plaisir qui se renouvelle. Au gré du travail, nous sommes devenus des amis très proches, ce qui est rare et précieux.»

Une production du Théâtre de la Marée Haute en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous, Parfois, la nuit, je ris tout seul, d’après les textes de Jean-Paul Dubois, suivra. Dramatisé, mis en scène et interprété par Michel-Maxime Legault et Marcel Pomerlo, le spectacle se définit comme un déambulatoire dans tous les recoins du Quat’Sous, par deux inconnus en cavale à travers l’Amérique dans leur Thunderbird 1977, et qui viennent demander «l’asile poétique» dans ce théâtre.

«On ne sait pas qui ils sont, vagabonds, clowns tragiques, amis ou amants, disait Éric Jean à leur sujet. C’est une performance musicothéâtrale à deux personnages confrontés au besoin urgent de changer d’existence. Ça va de Leonard Cohen à Dolly Parton. C’est virulent, acerbe et drôle.»

Enfin, pour clore la saison, IDentité, un parcours immersif intra- muros dont on sait peu de choses encore, sinon que pendant 10 soirs seront choisis de façon aléatoire 50 spectateurs à la fois. Cette pièce qui n’en est pas une s’emploiera artistiquement à «montrer la présence humaine cachée et à montrer l’absence. C’est du théâtre sensoriel», selon les derniers mots de la présentation d’Éric Jean.

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