Une femme à Berlin à l’Espace Go | La culture du viol

Brigitte Haentjens a un don très affirmé pour diriger des actrices. La metteure en scène, qui a révélé à elle-même autant qu’au public tout le talent d’une Anne-Marie Cadieux, par exemple, s’attaque maintenant avec Une femme à Berlin au tragique vécu par les femmes emmurées vivantes pendant que leurs hommes se font la guerre. Elles sont quatre, quatre témoins de l’horreur, mais elles ne font qu’une sur la scène de l’Espace Go.

La pièce, tirée des écrits sur des cahiers d’écoliers d’une jeune journaliste berlinoise, Marta Hillers (décédée en 2001), n’est pas sans rappeler le Journal d’Anne Frank. Le texte traduit a été adapté par Jean Marc Dalpé, un complice de longue date de Brigitte Haentjens et sa compagnie Sibyllines, alors que Florent Siaud y a mis du sien en tant que dramaturge.

Ce qui est confiné dans ce journal, écrit dans la terreur, le froid et la faim, se concentre sur une courte période de temps, soit du 20 avril au 22 juin 1945, alors que Berlin, échouant à repousser l’armée russe, n’a d’autre alternative que de capituler.

Photo par Yanick MacDonald.

Photo par Yanick MacDonald.

 

Dès les premières scènes, le bruit infernal des bombardements incessants par l’Armée rouge fait se contracter les quatre personnages en un, femmes aussi paniquées que résilientes, dans la noirceur des abris souterrains où elles se terrent, comme d’autres civils allemands, sans savoir que la Seconde Guerre mondiale est près de s’achever dans la disgrâce de l’humanité tout entière.

C’est Sophie Desmarais qui a le plus de texte, construit comme une partition musicale, paraissant toutefois à certains moments réciter ses envolées davantage que de les interpréter. Vient ensuite Évelyne de la Chenelière, aussi bonne actrice qu’elle l’est comme auteure à plusieurs succès. Bien que succinctement, Évelyne Rompré ne manque pas non plus de présence dans sa prestation. Mais c’est Louise Laprade, avec toujours ce on ne sait quoi de touchant chez elle et dans son jeu sans âge, qui ferme le quatuor.

Ainsi rendue en trois langues – français, allemand et russe -, la pièce gagne en authenticité. Les quatre comédiennes, habillées avec les différentes robes d’époque conçues par Julie Charland, portent cependant les mêmes chaussures noires à talons durs qui leur serviront d’instrument de percussion hachurant le récit en le ponctuant avec rage, dénonciation, et affirmation.

Le décor, monolithique, d’Anick La Bissonnière, se résume en un mur monumental et sombre, percé d’une large échancrure par où finira par faire son entrée le personnage du mari joué par Frédéric Lavallée. Son rôle, trop peu trop tard, n’apportera cependant rien de bien essentiel à la pièce.

En effet, on aura compris déjà que le prix à payer par les femmes en temps de guerre est souvent le viol. Le viol, perçu comme arme de guerre. On dit que quelque deux millions d’Allemandes furent violées par l’armée russe à cette époque. On dit même que plusieurs Allemands, à leur retour, auraient tué leurs femmes parce qu’elles avaient été violées par l’ennemi.

Même meurtrie dans son âme et souffrante dans son corps, Marta Hillers, survivante et voulant encore croire en l’homme, avait écrit alors dans ses petits cahiers d’écoliers : « C’est clair. Ce qu’il nous faut ici, c’est un loup qui tienne les loups à l’écart ».

Photo par Yanick MacDonald.

Photo par Yanick MacDonald.

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