VioleTT Pi

Visiter le Musée d’Art Contemporain avec VioleTT Pi

Karl Gagnon est heureux dans un musée. Ça se sent dans sa voix, il est volubile, enthousiaste, rieur. Ça se voit dans ses yeux, on le sent allumé, curieux. C’était le parfait endroit pour une « date » avec VioleTT Pi, une petite visite de mercredi après-midi à la Biennale de Montréal 2016 au Musée d’Art Contemporain. L’occasion parfaite pour jaser, rire, froncer les sourcils et philosopher à quelques jours de son spectacle à Coup de Coeur Francophone, ce samedi.


Nous déambulons tranquillement au milieu de sculptures étranges, d’objets amusants et d’oeuvres abstraites affichées aux murs, lorsque Karl évoque un livre qui l’a marqué : Le Triple jeu de l’art contemporain. « Ça dit que le but de l’art contemporain est de transgresser les règles, et qu’il y ait un certain blocage, qu’on se demande si c’est de l’art ou pas. Après ça, des spécialistes viennent dire si oui ou non ça en est, donc ça crée des nouvelles règles, et il faut ensuite briser ces règles-là. Donc si tu n’es pas à l’affût des règles, tu ne brises pas grand chose. Ça doit être pour ça que ça existe encore : parce que la question n’est jamais résolue. »

Comme tout bon adepte d’art contemporain qui n’est pas nécessairement un grand connaisseur, Karl et moi avons une chose en commun : une acceptation quasi-totale de nos interrogations irrésolues, de notre incompréhension face à certaines oeuvres, de notre ambivalence face à la beauté et la laideur.

En fait, la relativité de la beauté est assez centrale dans l’approche de VioleTT Pi. En musique comme en art visuel, comme dans la vie de tous les jours finalement. « Je me questionne souvent à ce sujet à propos des vêtements. Quand je ne suis pas sur de trouver ça beau, ou drôle, ou peu importe, c’est celui-là que je vais prendre. Parce que justement, ça me pose une question, ça me bouscule. Il y a une volonté de re-questionner si c’est laid ou beau. Et si c’est les deux, de les faire cohabiter. »

Cette réflexion se transpose forcément à la musique. Les chansons de VioleTT Pi sont truffées de mélodies accrocheuses, de refrains efficaces, de rythmes entraînants. Mais c’est aussi très souvent déroutant, les contrastes y sont violents, la logique et les codes défient le sens commun et nos perceptions s’entrechoquent. « Je pourrais faire des tounes qui marcheraient facilement. Mais quand ça te vient trop vite et trop facilement, c’est pas très satisfaisant. Je préfère récompenser mes efforts que ma spontanéité. Des fois, j’en viens à déformer des tounes que j’avais faites en 5 minutes. Ça se tord et je mets la fin au début, je déconstruis tout, tout en gardant un certain fil conducteur. C’est le bout intellectuel de la chose. »

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Question de sensibilité

Mais comme en témoignent les oeuvres qui nous entourent au moment de la discussion, il ne s’agit pas de faire différent pour faire différent. « Il y a le cliché du faux révolutionnaire qui fait des conneries, du n’importe quoi, juste pour être différent. Comme Lady Gaga, tu écoutes ses tounes et tu regardes son visuel, et c’est complètement dissonant. Si tu ignores le visuel, pour moi c’est juste du Céline Dion. Mais l’aspect visuel choque, alors que ses tounes sont assez pop pour jouer à la radio. C’est un drôle de contraste. »

Alors on fait quoi pour que l’audace soit relativement accessible ? Tout est dans la sensibilité pour VioleTT Pi. « Ajouter de la sensibilité à des choses un peu étranges : c’est un peu ce que j’essaie de faire. Je pense que le monde ne m’écouterait pas si je n’étais pas sensible. Un gars qui crie pour crier, par folie pure, ça n’intéresse personne. »

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Pochettes, vidéoclips et seins nus

Les arts visuels font partie intégrante du projet musical de VioleTT Pi. Ses vidéoclips, réalisés par son frère Akim Gagnon, sont toujours assez marquants, iconoclastes. Comme celui-ci pour la chanson Les huîtres de Julie Payette, et sa finale un peu traumatisante :

Ses pochettes témoignent aussi d’une volonté esthétique tout sauf conventionnelle.

Celle de son plus récent disque est un autoportrait.

Celle de son premier album eV lui avait permis de remporter son seul Félix (à date), pour la Pochette de l’année, en 2013. Cétait l’oeuvre d’Axel Pahlavi. « J’ai arrêté de faire de la peinture pendant longtemps à cause de lui en quelque sorte. Il est allé dix fois plus loin que ce que je souhaitais faire et quand j’ai vu ça, j’ai juste arrêté et je me suis mis à faire de la musique. Là, je trouvais qu’il y avait du territoire à explorer. »

Karl avait découvert le travail de Pahlavi dans un magazine d’art et l’avait contacté afin de pouvoir utiliser l’oeuvre pour sa pochette, ce que l’artiste visuel a accepté gracieusement.

Ironiquement, la Pochette de l’année au Gala de l’ADISQ a été censurée chez plusieurs disquaires, puisqu’on y voit des seins de femmes (en peinture). « Ce n’était même pas dans le but de choquer. Je n’avais même pas pensé à ça. Je trouvais ça tellement beau, c’est tout. » Un gros collant rose a été apposé sur les pochettes vendues dans certains magasins, camouflant la poitrine et le ventre du personnage qu’on y voit.

Le même genre de pépin est survenu avec le vidéoclip de Les huîtres de Julie Payette, où l’on peut également voir des seins. Ce qui a causé des blocages du côté de Facebook notamment. Le personnage en question est pourtant plus freakant qu’érotique. « Là [pour le vidéoclip], on savait qu’il y aurait une fille semi-nue. Alors je voulais être en chest moi aussi dans le vidéoclip. Je suis un astronaute en bédaine. Pour que tout devienne égal, enlever le côté érotique de la chose. Que finalement, des seins de filles, de gars, ça change rien, qu’on arrête de capoter avec ça. »  À la blague, Karl se demande toujours si Facebook a bloqué le vidéoclip en raison de ses mamelons à lui et ceux de son actrice!

Ironiquement, on discute de censure de seins au milieu d’un musée accessible à tous et où la nudité est vastement représentée. « Je ne comprends pas trop pourquoi Facebook laisse circuler des choses bien pires, bien plus nocives, mais un sein, ça c’est non. »

On a beau dire que l’art contemporain consiste à briser les règles, et que les musées servent à en établir, ça demeure toujours l’un des endroits où l’on se questionne sur celles-ci. On ne peut pas en dire autant de nos réseaux sociaux…

Parfois, quand je ne vais pas bien, je vais dans un musée au lieu de rester chez moi à regarder Facebook. Et quand j’en ressors, je me dis : « OK ça, ça me parle. C’est ça que j’aime dans la vie. On dirait qu’il y a de l’espoir.»

Le fait que tu sois là physiquement, devant l’oeuvre, il y a quelque chose qui t’implique. C’est la même chose avec les spectacles. C’est une façon de vivre le moment, au lieu de rester chez soi. Il y en a qui croient que c’est la même chose de regarder un show sur Internet, ou de filmer la performance sur son téléphone, des gens qui ne se pensent pas capables de vivre le moment. J’appelle ça « Le cinquième mur de la technologie ».

Comme vous vous en doutez, Sors-tu.ca endosse totalement cette vision.

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* Un gros merci au MAC de nous avoir accueillis. La Biennale de Montréal se poursuit jusqu’au 15 janvier 2017. Détails par ici.
VioleTT Pi, quant à lui, sera en spectacle ce samedi 12 novembre au Cabaret Lion d’Or, en plateau double avec Mon Doux Saigneur, dans le cadre de Coup de Coeur Francophone.

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