Yukonstyle (de Sarah Berthiaume) au Théâtre La Chapelle | Les deux solitudes ne le sont plus

Depuis 2005, la compagnie anglophone montréalaise Talisman Theatre s’emploie à présenter en anglais des pièces de dramaturges québécois de renom – comme Daniel Danis ou Michel Marc Bouchard -, avec le profond désir artistique d’en finir avec les deux solitudes. C’est dans ce contexte que Nadine Desrochers a traduit Yukonstyle, une pièce de Sarah Berthiaume créée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2013, simultanément avec le Théâtre national de la Colline à Paris, et s’étant déplacée ensuite à Bruxelles, Innsbruck et Heidelberg, avant d’arriver enfin à Toronto.

L’éclectique Théâtre La Chapelle, qui nous a habitués à toutes les formes de l’avant-garde pluridisciplinaire dans les deux langues, ne pouvait mieux convenir pour cette production hybride qui de surcroît fait se rencontrer la troisième solitude toute canadienne que sont les Indiens du Nord, isolés dans l’immensité d’un territoire ingrat comme le Yukon, et dont on ne sait tellement rien.

Sarah Berthiaume, une auteure qui compte de plus en plus, a reçu une formation de comédienne à Lionel-Groulx, ce qui paraît dans le découpage de son texte. Et sa traductrice n’a pas manqué de créer les mêmes effets d’un vocabulaire tranchant comme le couteau utilisé par les Indiens, à qui, comme il est dit dans le texte, il ne faut jamais faire confiance.

Photos: Maxime Côté

Photos: Maxime Côté

Au départ donc, l’auteure a eu le cran de faire le voyage en autobus de quatre jours et quatre nuits entre Montréal et Whitehorse, pour documenter son sujet. Elle a voulu des personnages imparfaits comme leur vie dure et crue, face à leurs démons que sont l’alcool, les drogues, la pauvreté érigée en système, la précarité, la violence conjugale, le génocide des pensionnats et le taux élevé de suicide chez les jeunes. Ainsi que, bien sûr, le brûlant dossier des femmes indigènes disparues, c’est-à-dire pour la plupart tuées après usage.

Photos: Maxime Côté

Photos: Maxime Côté

Quatre comédiens d’horizons différents (Toronto, Collège Dawson à Montréal, Nord de l’Ontario, Université de la Saskatchewan, Réserve Blackfoot du Sud de l’Alberta) défendent le texte avec beaucoup de conviction. On voit tout de suite qu’ils ont été bien dirigés par Geneviève L. Blais, elle-même fondatrice et directrice de la compagnie Théâtre à corps perdus, qui en est à développer un projet scénique à partir du mythique Les enfants terribles de Jean Cocteau.

Évoluant entre trois structures de maisons mobiles pour tout décor (conçu habilement par Lyne Paquette), l’histoire de Yukonstyle est aussi banale que criante de vérité. Elle tourne autour de Yuko (Jasmine Chen) en couple depuis trois ans avec Garin (Justin Many Fingers), un Indien humilié par son travail de plongeur dans un restaurant de Whitehorse.

Sa mère est disparue alors qu’il n’avait que deux ans, et son père (Chip Chuipka, trois fois nommé aux Prix Gémeaux) lui a toujours caché la vérité. Même hospitalisé et à l’article de la mort, le fils continue à apporter à son père la bouteille de gin devenue aussi indispensable que son ukulele.

Un soir qu’il faisait moins 45 degrés à Whitehorse, Yuko ramène à leur domicile une jeune fille ingénue (convaincante Julia Borsellino) qui faisait du pouce vers nulle part passé minuit, écourtichée malgré le froid, et portant d’aguichants souliers plate-forme. Elle est enceinte. Il n’y a pas de cliniques d’avortement à Whitehorse, et elle n’a pas d’argent pour se payer l’autobus vers Vancouver.

Ce sont donc des jeunes aux prises avec des problèmes d’adultes, sans issue apparente. Mais, malgré une finale qui s’étire inutilement, Yukonstyle est mue par une grande force de survie devant les revers de vies sacrifiées, une force admirablement transposée sur cette scène de La Chapelle.

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