Molière Shakespeare et moi

Molière, Shakespeare et moi au Rideau Vert | Rires assurés

Habituellement en relâche pendant la période estivale, le Théâtre du Rideau Vert n’aura pas pu se soustraire à la vague déferlante du 375e mur à mur. Devant l’insistance de Gilbert Rozon, commissaire aux célébrations, Denise Filiatrault a fait appel à plusieurs auteurs qui ont décliné devant ce qui ressemblait plus à une commande qu’à une création, avant qu’elle ne pense à Emmanuel Reichenbach que le défi a tout de suite intéressé. Et Madame Filiatrault, comme toujours, ne s’est pas trompée.

Deux années et huit versions du texte plus tard, la pièce nous ramène à un pan oublié de Montréal, avec sa véritable fausse histoire se déroulant vers 1750, juste avant la conquête britannique de la Nouvelle-France. « Une chronique qui se joue de l’Histoire; la déforme; l’anéantie et la réinvente », écrit dans son mot du metteur en scène Charles Dauphinais, ajoutant avoir voulu expressément « régler quelques comptes au passage, tant qu’à y être ».

Sur l’affiche du spectacle, on voit un castor affublé de la tête de Shakespeare et un orignal, lui, avec la tête de Molière. « Bonjour Hi », entend-on dès le départ, en jouant sur la double identité de ce qu’on décline ensuite comme « mon réal » n’étant pas « ton réal » mais « notre réal », avant de se faire balancer : « Fais de l’air, Molière! ».

Sans aucune rigueur historique donc, la pièce tourne autour d’un auteur fictif en mal de consécration, Thomas Beaubien, terne et dépressif, s’en prenant à la noblesse du régime dans son œuvre en porte-à-faux vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux de son époque. Ainsi, le jeu des neuf comédiens, de loufoque devient baroque, quand ce n’est pas carrément burlesque.

Le personnage central du jeune écrivain mal-aimé est défendu ici par Simon Beaulé-Bulman, sans une réelle présence forte en scène. Mais, la farce historico-anachronique reprend vite du tonus avec les deux personnages truculents incarnés par Carl Béchard, en Pontife Sulpicien imbu du pouvoir du clergé, et par Roger La Rue, bouffon régnant en maître absolu sur la seigneurie de Ville-Marie.

Photo par François Laplante Delagrave.

Photo par François Laplante Delagrave.

Comme toujours, ce damné Carl Béchard nous éblouit par son jeu puissant qui dégage toute une panoplie ludique entre délire religieux et prestance, rendu avec une gestuelle de cascadeur de la scène et un éventail de mimiques qu’il est bien le seul à maîtriser d’aussi belle façon. Son jeu, ici encore, relève d’une pantomime débridée qui lui réussit à tout coup.

Mais, cette fois, il rencontre en Roger La Rue un acteur redoutable qui lui fait toute une compétition avec son incroyablement énorme perruque bouclée surmontée du clinquant de la couronne française. Leur confrontation, tout ce qu’il y a de plus ahurissante, procure des scènes qui sèment le bonheur sur scène autant que dans la salle.

Les costumes outranciers de Cynthia St-Gelais, les perruques et coiffures extrêmes de Rachel Tremblay, et les maquillages juste bien exagérés d’Amélie Bruneau-Longpré, comme la musique de Le Futur, ajoutent chacun un élément indispensable pour que cette comédie échevelée reste soutenue pendant une bonne heure et demi.

Malgré quelques passages où l’humour est trop premier degré, ce Molière, Shakespeare et moi d’Emmanuel Reichenbach au Rideau Vert est rendu avec une belle et franche rigolade qui procure le plus grand bien.

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