Guerilla Poubelle

Nouvel album de Guerilla Poubelle | Renouveau de créativité et engagement politique ré-affirmé

Après presque quatre années passées exclusivement sur scène, le groupe de punk rock français Guerilla Poubelle a offert à son public impatient l’EP « Inferno » en 2016, suivi en fin d’année 2017 d’un tout nouvel album complet intitulé « La Nausée ». Till Lemoine a accepté de répondre à nos questions afin de nous faire part des inspirations de cet album, et du message politique qu’il porte.

Guerilla Poubelle, c’est avant tout un esprit de révolte, une volonté d’outrepasser les codes de la société et de déconstruire les normes qui enferment les individus dans des classes fermées, exigües et perçues comme homogènes.

Guerilla Poubelle, c’est aussi un désir de se livrer sans retenue et sans masque, une honnêteté déconcertante qui plonge le public dans l’introspection vécue par les membres du groupe, sans fard aucun, lors de chaque nouvelle production. Guerilla Poubelle, c’est enfin un essaim d’artistes en constante évolution, toujours rassemblé autour d’un leader, Till Lemoine, un musicien à la fois chanteur et guitariste qui surprend par sa franchise mais aussi par son érudition particulièrement étendue.

Spontanéité et fougue ont rythmé leur processus de création ; analyse sociétale et engagement politique ont guidé leur plume. Nous vous proposons d’en apprendre plus sur Guerilla Poubelle grâce à la lecture de cet exercice de questions-réponses auquel Till Lemoine a accepté de se prêter.


 

Sors-tu.ca : Depuis la sortie de votre album Amor Fati, en 2013, vous sembliez avoir choisi de favoriser la scène au studio. Comment avez-vous décidé que c’était le moment de vous lancer de nouveau dans un processus de création et d’enregistrement ? Est-ce que c’était un désir ressenti par tous les membres du groupe ?

Till Lemoine : Effectivement, on a un peu traîné parce qu’on avait envie de faire un nouvel album déjà à l’époque de Inferno,  mais on n’avait réussi qu’à pondre un EP ! En fait, Antho, notre bassiste, habite à Montpellier, à 700km de Paris dans le sud de la France. On se voit souvent pour les fins de semaines de concerts et les tournées, mais pas tant que ça pour pratiquer. Entre Inferno et les premières pratiques pour la composition de La Nausée, on a donc passé plus d’un an sans mettre les pieds dans notre local !

La scène semble prendre une place considérable dans votre vie d’artistes : vous participez chacun à plusieurs projets musicaux différents et les tournées caractérisent une grande partie de votre quotidien. Comment vivez-vous cette rencontre toujours renouvelée avec votre public ? Comment votre rapport à la scène a-t-il évolué au fil des albums ?

C’est difficile de se rendre compte quand on a autant le nez dedans. C’est sûr qu’on aime toujours autant ça, c’est notre activité principale en tant que musiciens. On a organisé toutes nos vies et nos jobs pour avoir un maximum de temps disponible pour tourner. L’évolution, je la remarque par rapport à il y a 8-9 ans, où la notoriété du groupe était au top ; il y avait beaucoup plus de monde à nos shows, beaucoup de kids vraiment fanatiques, et je ne le vivais pas très bien personnellement.

Je ne sais pas si c’est moi qui ai mieux appris à gérer ça ou si nos shows aujourd’hui sont moins « big » et les kids moins oppressants, mais je trouve que l’ambiance de nos shows est beaucoup plus conviviale. On est plus naturels maintenant du coup je pense, plus abordables aussi.

Guérilla Poubelle existe depuis près de 15 ans, et pourtant, il parvient toujours à se démarquer au sein de l’univers du punk-rock. D’où vous vient cette capacité à toujours vous renouveler ?

Je ne vais pas te mentir, je pense que les changements de musiciens exercent forcément une influence sur ces évolutions, car tous les albums sont avec des line-ups différents. […] L’introspection et l’écriture personnelle et « romantique », au sens où elle exalte les émotions ressenties, participe à un renouvellement de point de vue qu’on peut remarquer entre Amor Fati, qui était vraiment centré sur mon mal-être individuel, et La Nausée, qui aborde le même genre de thème d’un point de vue plus collectif. Sauf que tout ça reste quand même assez relatif ; certaines personnes te diront qu’on fait les mêmes 3 accords depuis 15 ans, d’autres trouveront qu’il n’y a que la première démo qui soit intéressante, mais il y a aussi des kids qui ne connaissent que Amor Fati, notre précédent album !

Certaines personnes te diront qu’on fait les mêmes 3 accords depuis 15 ans, d’autres trouveront qu’il n’y a que la première démo qui soit intéressante, mais il y a aussi des kids qui ne connaissent que Amor Fati, notre précédent album !

La Nausée est un cocktail explosif de 13 titres à la fois courts (entre 1 minute 30 et 3 minutes), punchés et intenses. Est-ce que c’est votre processus de création qui engendre ce format condensé ou est-ce qu’il s’agit d’un parti pris pour vous ?

Un peu des deux, on essaye toujours effectivement d’aller à l’essentiel ; on compose très vite et je taille dans les textes jusqu’à n’en garder que le plus incisif. Pour cet album en particulier, comme je t’en parlais plus tôt, on n’a commencé à écrire qu’à peine 10 jours avant le studio, sans avoir pratiqué depuis plus d’un an. Ce choix, plus ou moins volontaire, de l’urgence dans l’écriture force la spontanéité et la fraîcheur, même avec des thèmes et des riffs ressassés 100 fois.

Ce nouvel album est éminemment politique. On ressent à la fois un réel ras-le-bol face à la politique française (de nombreuses références à Emmanuel Macron notamment), au capitalisme et à l’ultra-consumérisme ambiant mais aussi une revendication humaniste forte. Avec Les fils et les filles des sorcières que vous n’avez pas brûlées, qui fait référence au manifeste des 343 salopes, ou bien avec Identité rigide, qui s’oppose à la vision du genre comme binaire et ultra-stéréotypé, vous soulevez des problématiques de genre. Votre musique agit-elle comme un catalyseur pour vos revendications et pour les émotions qu’elles provoquent chez vous ?

En quelque sorte oui, comme je te disais plus tôt, même si ce prisme politique et social a toujours été présent dans Guérilla Poubelle, cet album adopte un point de vu plus collectif, et donc plus « politique ».

Je t’avoue aussi qu’à l’époque de Amor Fati, l’album précédent, je n’allais pas bien du tout et l’écriture de cet album m’avait permis d’exorciser ce mal-être là en parlant de la dépression, de l’anxiété, de rapports humains toxiques… Aujourd’hui, je vais beaucoup mieux mentalement et je pense que ça a participé à orienter plutôt ma réflexion et ma colère sur des sujets de société.

Ces dernières années ont été assez sombres en France politiquement, et en l’occurrence sur le thème de l’égalité homme/femme, sur les questions de genre, etc. Même des avancées positives comme le mariage homosexuel, par exemple, ont donné l’opportunité à une frange réactionnaire de sortir de l’ombre et d’assumer plus publiquement leurs opinions nauséabondes.

Il y a eu un véritable regain des opinions de droite rétrogrades… Il y a aussi eu des rassemblements remettant en question le droit à l’avortement, de même que des polémiques sur une soi-disant « théorie des genres » enseignée à l’école qui allait changer les petits garçons en filles et transformer les classes de cours en séances de masturbation collective. Depuis mon enfance, je n’ai jamais ressenti les stéréotypes de genre aussi étouffants que ces dernières années. C’est assez inquiétant.

Peut-on espérer dans l’avenir un prochain album porteur de plus d’espoir ?

Je considère notre pessimisme actuel comme porteur d’espoir. Notre pessimisme est réaliste, mais il n’est pas résigné. C’est l’optimiste qui me semble sans espoir et réactionnaire, car renoncer au pessimisme revient à accepter le monde tel qu’il est. Notre pessimisme est combatif et révolutionnaire !

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